Liste de 2ème sélection



Thomas Reverdy
Il était une ville
Paris, Flammarion, 269 p.
Detroit : ville fantôme

Ville fantôme ! Tel pourrait être le qualificatif associé à Detroit en septembre 2008. Étendard de l'automobile triomphante, Detroit a longtemps été considérée comme le symbole de la prospérité américaine. Impacté par la crise des subprimes, le berceau de l'industrie automobile est devenu au fil d'une longue agonie, une ville criblée de dettes, désertée et minée par la criminalité. Il était une ville  brosse le portrait de cette ville gangrenée par la corruption et fauchée par les désillusions économiques. Le fleuron de l'industrie s’avère n’être qu'une ville déchirée, ravagée et en plein naufrage économique.
            Depuis la crise que les habitants nomment la « Catastrophe », la ville connaît une interminable descente aux enfers : usines désaffectées, bâtiments envahis par la rouille granuleuse, peinture écaillée, plâtre craquelé, béton lézardé, quartiers désertés et livrés aux  « dealers ». En outre, le taux de criminalité y bat tous les records, la corruption règne à la mairie et une décrépitude des services publics est fortement marquée. Le chômage explose et les ménages sont surendettés. Deux cent maisons ont été brûlées par leurs propriétaires dans l'espoir de toucher la prime d'assurance. Même le bon Dieu a déserté la ville : « […] mais Dieu aussi on dirait qu'il avait quitté la ville » (p.198), la phrase figurant dans un chapitre intitulé « Dieu est parti ». Les surfaces abandonnées de la ville en ruine sont ainsi propices à la délinquance. Cette crise démolit Detroit tel un ver qui ronge sa proie vivante.
            C'est dans ce décor de fin de monde que Thomas Reverdy tisse une histoire où s'entremêlent plusieurs intrigues. Les histoires respectives de Charlie et d'Eugène ne se croisent jamais, elles sont menées en parallèle. L’histoire est une somme de vies qui s’entrechoquent. Au fil de cette catastrophe, des personnages tentent d'exister dans un environnement qui les repousse.
            Eugène, un ingénieur français débarque alors à Detroit pour superviser un hypothétique projet automobile. Une fois arrivé, le jeune Français se retrouve oublié, abandonné par l'entreprise qui ne répond pas aux mails qu’il envoie. Il doit travailler dans des conditions pénibles : sans chauffage en plein hiver et sans aucune sécurité. Son travail lui semble inutile dans ce milieu démuni. Fréquentant un bar où il prend l'habitude de boire de temps en temps un verre, il fait la connaissance de Candice, une jeune serveuse au rêve brisé. Le cœur assoiffé du jeune français se gorge d'un amour inattendu. Parallèlement, Charlie, un gamin de 12 ans, délaissé par sa mère, vit avec sa grand-mère Gloria, débordant d'amour pour lui. L'adolescent n'a pour religion que ses copains. Il les suit aveuglément. Ce ne sont que des gamins paumés, errants qui cherchent à s'occuper coûte que coûte. Charlie et son meilleur ami Bill décident de suivre leur copain Strothers vers la Zone, une école abandonnée où la vie serait « meilleure ». Ils tombent aux mains de l'impitoyable Max et vivent sous ses ordres. Fragile et rêveur, Charlie tente de s'émanciper sur un nouveau terrain de jeu. Suite à la perte de son ami Bill, Charlie réussit à s'enfuir de la Zone pour revenir à Gloria qui le cherche inlassablement  depuis des mois. L'inspecteur Brown se trouve être parmi les policiers qui, sans moyens efficaces, tentent de continuer à imposer un minimum de droits. Il mène une enquête pour retrouver les enfants disparus dans l'indifférence générale. Le vieux flic réussit dans sa tâche et découvre la Zone.
            Reverdy ne respecte pas forcément la chronologie du récit, le temps contribuant à étirer le sentiment de perte qui frappe Detroit. À l'instar des personnages perdus en pleine mer, ce temps semble se distendre et se contracter. Les mots sensibles et réels de Reverdy reflètent forcément les maux des personnages. Cette plongée réaliste dans la société américaine nous donne l'occasion de contempler les ruines de notre civilisation dévastée par la mondialisation. Ce monstre invisible a ainsi broyé le corps et l'âme de Detroit. Il bouleverse, transforme et maltraite la vie, l’espoir et le rêve. C'est sous le rouleau compresseur d'un système monstrueux que Detroit est écrasée et oppressée. La ville fantôme représente alors le cimetière de notre civilisation. Par le biais de l’âpre portrait d'une ville déchue, et à travers elle d’un Occident mondialisé, Reverdy pointe les ruines d'une civilisation effacée par la mondialisation. Pourtant, le roman ne finit pas dans l'obscurité. Au milieu du désastre, un espoir rayonne. Eugène restera à Detroit. À défaut de voitures, il construira une famille avec Candice, enceinte. Malgré un avenir sans issue, il tente de résister et de survivre dans ce milieu hostile.
            « Que la dernière personne à quitter Detroit éteigne la lumière » (p.160), cette blague circule dans la ville. Reverdy termine son roman par le fait qu'Eugène « étei[nt] la lumière » (p.268). Il sera en effet le dernier à quitter cette ville mythique. Un espoir fou allumé au bout du récit fait revivre un espoir moribond, une ville mourante…



Christelle RABBAT
Université Libanaise – Branche IV - Békaa
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Département de langue et littérature françaises
Liban




Boualem Sansal
2084. La Fin du monde
Paris, Gallimard, 2015, 275 p.
Appel à la conscience

            Quand on se trouve devant un chef-d’œuvre comme celui de Boualem Sansal, on est tenté de fermer les yeux pour se laisser transporter vers un autre monde, un monde d'ironie amère traitant de sujets complexes tels que le totalitarisme, le fanatisme, l'intégrisme et la soumission.
Cet écrivain algérien francophone a osé critiquer la corruption, le fanatisme religieux et la manipulation du peuple. Boualem Sansal, dont il faut respecter et admirer le courage, a voulu représenter, dans son ouvrage 2084. La fin du monde, l'image d'une société intégriste qui s’apprête à prendre possession du monde entier après quelques décennies, une société sauvage, illégale, aveugle et soumise, une société qui nous rappelle, en quelque sorte, le mouvement Daech de 2015.
            Mais dans une pareille société, il se trouvera toujours un homme rebelle qui se soulève contre l’autorité, qui se trouve capable de dire non mais de réfléchir avant d'agir. Cet homme représenté dans le roman sous le nom d'Ati reflète Sansal-l'enquêteur, celui-ci étant capable de prévoir l’émergence d'une société islamiste qu'il n'a pas directement nommée mais qu'on peut facilement identifier parce qu’elle tente de ravager et de détruire les valeurs prévalant jusqu’ici.
            L’auteur a prudemment évité certaines notions, il a substitué la religion abistanaise à l'Islam, le Gkabul au Coran et Abi au Prophète Mohammed. Il a essayé de respecter l'Islam dont il fait partie en critiquant seulement les Islamistes – on insistera ici sur la différence entre les deux notions... C'est ce qui le différencie des autres écrivains et lui donne davantage de crédit.
            Michelle Houellbecq dans Soumission (2015), par exemple, mentionne directement l'Islam sans préciser la différence entre ce que représente l'Islam comme religion monothéiste et ce qu'en fait le fanatisme islamiste. De plus, Sansal revisite Orwell pour le transporter cent ans plus tard, à une époque où le fanatisme religieux prend possession de la planète. Aussi les personnages de 1984 de George Orwell ne se connaissent-ils pas puisque leur calendrier commence en 2084 avec Sansal. Tout y est : pensée unique, soumission aveugle et surtout contexte historico-religieux identique.
            Cet ouvrage, à tendance politique, nous interpelle. Il essaie d'avertir le lecteur de la disgrâce qui le menace. Il peut constituer une sorte d'alerte contre la corruption et la manipulation religieuses. En outre, il garde une valeur littéraire et constitue un chef-d’œuvre dont la langue parfaitement structurée captive le lecteur et le fascine.



Paméla BAYAN
Université Libanaise – Branche IV - Békaa
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Département de langue et littérature françaises



Tobie NATHAN
Ce pays qui te ressemble 
Stock, 540 p

L’Égypte que je connaissais

     On commence ce  roman par le mariage d'une ado juive, appelée Esther, demi-folle, avec son cousin aveugle, Motty, trop âgé pour elle. Certes, ils tombent amoureux l'un de l'autre. Ce couple incroyable souffre de la pauvreté, mais est très fier : il n'accepte guère les dons d'autrui.
     Esther et Motty attendent un bébé qui s'appellera Zohar, qui signifie "joyau". Cette modeste famille, qui habite le ghetto juif du Caire (Haret el Yahoud), n'a pas de moyens pour soigner la jeune mère. Celle-ci n'a aucune goutte de lait dans son sein afin d'allaiter leur premier-né. Alors, leurs proches de Haret el Yahoud les aident à trouver une nourrice. Celle-ci, Oum Jinan, est danseuse et chanteuse dans des cabarets alentour. Sa fille sera, pour Zohar, sa sœur de lait.
     En réalité, l'auteur démontre à quel point les juifs d’Égypte sont touchés et influencés par les mœurs et rites arabo-islamiques. Ainsi, ce livre comprend un grand nombre des mots arabes, comme (Toz, Bab, Djihad, etc.), pour prouver le mélange merveilleux entre l'arabe et l’hébreu.
     Il essaie également d'ouvrir une vaste fenêtre sur le charme ancien du Caire, et de rappeler des évènements très particuliers de l'Histoire égyptienne, comme la Révolution, dans la première moitié du vingtième siècle, de Sa'ad Zaghloul contre les britanniques, et le conflit du pouvoir, dans les années 1940, pris entre le dernier roi d’Égypte Farouk et le parti populaire Wafed.
     Le petit Zohar grandit rapidement, il rencontre, par hasard, sa sœur de lait Masreya (l’Égyptienne). Ils tombent amoureux l'un de l'autre. Or c’est un malheur en plus d’être une honte : ils sont frère et sœur, et elle est musulmane. En somme, une catastrophe…
Masreya le conduit au palais d'Abdine où se trouve le pharaon, Farouk. Zohar, ou Goher comme l'appelle sa sœur de lait et son aimée en même temps, profite de la relation sexuelle temporaire entre Farouk et Masreya. Ainsi, son copain Nino, qui changera plus tard de religion et deviendra l’un des leaders des Musulmans de la Confrérie, sort de prison grâce à Zohar, après l'intervention personnelle du roi. La corruption du régime monarchique est évoquée, ainsi que le plein désir du monarque d'avoir et d’aimer toute belle fille quelque soit son origine ou sa doctrine.
     Le temps ne s'arrête jamais. L'Égypte va rechuter le monde ancien : quelques officiers de l'armée, leur chef Nasser, organisent un coup d’État à l'aide des Frères musulmans que l'écrivain accuse de faire plonger l'Égypte dans un bain de sang.
Le génial juif, après être arrivé aux portes du pouvoir dans le monde ancien, est terrifié : les Frères musulmans poussent le peuple à l'islamisation du pays, incitant à égorger et tuer les juifs n'importe où ils sont. Bref, l’image donnée est celle d’une terrible violence, pillages et attentats se succédant.
     Zohar se précipite pour voir Masreya, son premier amour et son histoire éternelle. Se préparant à quitter son pays natal, une foule furieuse de manifestants fonce vers lui, l’un d'eux hurlant : "Juif, fils de chien, allons l'égorger!". Le pauvre est terrorisé : on lui met un couteau sous le cou. Soudain arrive un homme, Nino, leur ordonnant de s’arrêter. Il lui sauve ainsi la vie.

     Finalement, Zohar part pour Genève. Pourtant il n'oublie jamais l'Égypte mystérieuse.
Selon moi, ce roman nous ramène passionnément au Caire, dans ses marchés, ses quartiers et parmi ses habitants. Il évoque la vie des Juifs d'Égypte et quelques traditions pareilles chez les musulmans et eux. Néanmoins, si ce livre était traduit en arabe, on le refuserait pour la polémique qu’il engendrerait: d'une part, l'auteur prétend que les Hébreux sont ceux qui ont bâti les Pyramides et cela s’oppose fortement aux affirmations des historiens égyptiens. D'autre part, malgré la décadence du roi Farouk, on le montre, en fin roman, comme un défenseur des Juifs égyptiens, eux qui auraient abandonné le Caire à cause des actes racistes commis après la guerre de 48 et pendant la Révolution de 52. En vérité, il y en a eu mais plus rarement qu’on ne le raconte. En conclusion, la fin du roman pourrait faire ressembler l'Égypte à l'Allemagne nazie.

                                                                                                           

Younis SALEH
Étudiant au département de  français
Université  de Yarmouk
Jordanie


Tobie Nathan
Ce pays qui te ressemble
 Paris, Stock, 2015, 540 pages

                                                                                    
Masreya… l’ensorceleuse
                        

Né en Égypte (1948) de parents juifs, Tobie Nathan est obligé de quitter le Caire avec sa famille en 1957, à l’âge de neuf ans, à la suite de la révolution égyptienne et de l'expulsion des Juifs. Disciple de Georges Devereux, Nathan est aujourd'hui professeur de psychologie clinique et pathologique à l'université Paris VIII, et l’un des principaux représentants de l’ethnopsychiatrie.
L’ethnopsychiatrie est une nouvelle vision de la psychothérapie qui considère le patient dans son univers familial et culturel. Elle est mise en lumière par Tobie Nathan dans son roman Ce pays qui te ressemble. Paru aux éditions Stock en France (2015), l’ouvrage s’avère être l’incarnation de la vision de son auteur.

Ce pays qui te ressemble est l’histoire de Zohar, un Juif né d'un père aveugle et d'une mère "possédée par des esprits démoniaques" après l'intervention de Kudiya, une femme ensorceleuse musulmane. N'ayant pas de lait pour allaiter, la mère confie son fils à une nourrice, Jinane, ayant elle-même une fille qu'elle allaite, Masreya. Zohar tombe passionnément amoureux de Masreya. Étant la maîtresse du roi Farouk premier, cette Masreya, " l’Égyptienne", l’introduit dans le grand monde.
Ce pays qui te ressemble baigne dans un milieu arabo-musulman, l’Égypte des années 40-50 où la croyance dans les forces magiques et la superstition sont dominantes. Cette dimension socioculturelle est perçue tout le long du roman : le destin et la vie de Zohar sont régis par toute une série de sortilèges (sa naissance, son amour, son amitié, son travail, voire sa vieillesse).
Une dimension historique vient s’ajouter à la précédente, consacrée dans les événements politiques exposés soigneusement: les brouilles, la révolution, l’expulsion des Juifs, la chute du roi…Ces incidents sont relatés au fil des chapitres dont les titres reprennent les noms propres des rues, des villes, des quartiers ou des personnages illustres tels que : « Zamalek, rue Salah-el-Din, Haret el Yahoud, Place Edmond-Rostand, Rue de la reine Nazli… ».
Ainsi, l’histoire racontée par un narrateur extradiégétique dans un ordre chronologique (1925, 1942 et 1952) est-elle l’histoire de la société égyptienne bousculée par les conflits intérieurs, du mandat du roi Farouk premier jusqu’à l’arrivée de Gamal Abdel Nasser en 1956.
Cependant, l’arrière-plan historique et la crise de l’Égypte ne peuvent occulter l’histoire de l’amour-passion unissant Zohar à Masreya, et qui fait l’originalité du roman. Le lecteur est saisi par les passages érotiques qui cassent tous les tabous et il est aussi pris par cet amour que la religion et la morale interdisent, mais qui tisse tous les rêves de Zohar jusqu’à ses derniers jours: « Je suis bien vieux. Quelquefois, je me demande si la mort m’a oublié. Le jour, nécessairement proche, où elle se souviendra de moi, Dieu fasse qu’elle m’emporte au même moment que ma jumelle, Masreya, ma promise, mon interdite, à la même minute, au même instant. Il est si difficile de retrouver l’aimée dans le monde des morts, avec la foule de ces cent mille personnes qui débarquent là-bas chaque jour. »
Ce pays qui te ressemble retient son lecteur par la mise en contexte de l’histoire : abondance de noms propres, précision spatio-temporelle, descriptions minutieuses des

troubles et des manifestations, vocabulaire relativement riche, personnages en mouvance, présentés comme réels, et que nous pouvons croiser dans notre vie…
Entre narration et fiction, Ce pays qui te ressemble est le cri perçant de l’écrivain, un appel à une prise de conscience de la vanité de l’existence sans la richesse culturelle représentée par le mélange des communautés : « Pour être ensemble, il faut être différent », réplique Nathan.
Ce pays qui te ressemble, ressemble-t-il au nôtre ? Qui est ce "te" ? Est-ce moi ? Est-ce toi ? Est-ce le monde arabe ? Est-ce l’humanité entière ? …

                                    
Marianne CONSTANTINE ACCAOUI
Université Libanaise
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Section 2, Fanar
Département de Langues et Littérature Françaises
Liban




EVA
SIMON LIBERATI
PARIS – STOCK, 278 p.

Eva, une machine à remonter… l’amour.

      Eva, c’est plus qu’un roman, c’est tout un monde, un univers plein de douceurs, de fascination, de charmes et de rebondissements. Un roman signé Simon Liberati, écrivain brillant maîtrisant un impeccable style descriptif.
     Dans ces 278 pages, Simon nous met en scène l’histoire d’amour authentique de sa vie, qui l’a lié à sa femme actuelle, la cinéaste et actrice Eva Ionesco, qu’il présente comme une muse, ayant inlassablement hanté son esprit depuis qu’elle avait 12 ans.
     Il s’empare donc de sa boîte à souvenirs, et nous en extrait toutes les onctuosités et la volupté des instants éternisés par son amour infléchissable.
     L’auteur, ayant commencé sa carrière romanesque en 2004, avec 6 romans jusqu’à présent, axe ce roman sur une dualité sensible entre sa vie d’avant Eva et d’après Eva, qui a d’ailleurs été catégoriquement bouleversée… Une dualité entre Eva petite fille et Eva adolescente, entre une tendresse recherchée et la cruauté d’une mère perverse exploitant sa fille en la photographiant dans des poses suggestives.
     Simon pratique dans ce récit une focalisation interne, et reconstitue lui-même, avec une lucidité infaillible les moindres détails du fil de ses souvenirs, où il se balance dans la spirale d’un charme irrésistible… L’unique narrateur omniprésent s’impose, pour ainsi dire, avec beaucoup de subjectivité, avec le « je » autobiographique, dans un retour en arrière commençant de l’instant présent et remontant aux années 1970. Il perçoit tout, juge tout, et au fond, revit absolument tout…
     Ainsi nous fait-il revivre son histoire palpitante, les tournants décisifs et les bouleversements de sa vie, en traçant en particulier les détails minutieux des années 1970 et 1980 qui viennent tisser la toile de fond d’une grande partie des événements.
En somme, ce roman est un manifeste d’amour, une proclamation éternelle d’une passion renouvelable qui ne cesse d’animer l’auteur et enflammer sa sensualité.


Bassant ESSAM
Assistante et étudiante en Master
Faculté des langues AL ALsun
Université de Ain Shams
Égypte




                         
Mathias Enard
Boussole
Actes sud, 400 pages

NUIT TOUS AZIMUTS


   Dans le roman intitulé Boussole de Mathias Enard, le personnage central est un musicien autrichien épris de l'Orient, Franz Ritter, qui décrit ses rencontres et ses nombreux séjours loin de l’Autriche. Hypnotisé par l’effet d’opium, il passe une nuit d’insomnie où il se laisse envahir par ses rêves et la reconstruction de ses mémoires.
   Inspiré par “À la recherche du Temps perdu” de Proust, Ritter sombre dans un état de mélancolie féconde et allègre, et nous représente un soliloque où il s’adresse à un autrui imaginaire. Cet autrui n’est que son subconscient, en relation avec une mystique associée aux voyages, Sarah, compagne de quelques journées inoubliables dans le désert syrien et les citadelles de Palmyre.
   Le héros oscille entre l’Orient et l’Occident, de Vienne à Istanbul, d’une manière fascinante, ainsi que l’a fait Jules Verne dans “Le tour du monde en 80 jours”. C’est ainsi que l'auteur, Mathias Enard, mène le lecteur en voyage de par le monde, surtout au Moyen-Orient où il braque la lumière sur un métissage de cultures : "L’histoire du monde se divise en trois périodes : jadid, récent ; qadim, ancien; qadim jidan, très ancien ». Il présente une bande d’orientalistes: auteurs, traducteurs ou compositeurs dont le rôle était important dans le courant orientaliste, lequel a pris son essor au XIXe siècle dans le domaine littéraire.
   Dans ce roman d’exploitation, l’auteur médite sur le rapprochement des civilisations ainsi que l’histoire de la passion, la violence, les blessures et les incompréhensions dans les relations Orient/Occident, reliant ainsi les œuvres et les hommes et soulignant les influences et les convergences. Car l’Europe et l’Orient ne peuvent pas réagir séparément : l’unité du monde arabe n’existe qu’en Europe", a dit un personnage de “Rue Des Voleurs”. Cet état de chose confère à son roman une indéniable dimension politique. L’auteur propose une vision tendre et désespérée du destin tragique de la Syrie, évoque les questions arabes, entre autres celle de Téhéran et les relations diplomatiques entre la France et l’Égypte depuis 1950, en rendant hommage à l’orientalisme.
   Étudiant le persan et l’arabe, auteur nostalgique, Mathias Enard couvre toujours ses œuvres d'un tropisme oriental. Pour ses illustrations et ses réflexions, il s’est vu décerner plusieurs Prix littéraires pour ses romans, dont Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants (2010 – Goncourt des Lycéens) et Rue des voleurs (2012). Il adopte un style très délicat et intéressant, comme dans La Boussole, il plonge le lecteur dans un Flash-back peuplé de souvenirs. Il fait une description méticuleuse, qui atteint parfois une certaine monotonie, mais incroyablement riche de diversités et de découvertes au niveau du Liban, de la Syrie, de l’Iran et d’autres pays arabes, avec leurs traditions, leur multiplicité de langues et leurs religions.
   Faisant allusion aux " Mille et Une Nuit", ce roman passe en revue des paysages et des histoires, fragiles et équilibrés, qu’il importe de protéger. Il les présente de telle manière à ce que chacun y trouve sa place et que personne n’écrase l’autre. C’est pourquoi ce roman mérite le Prix Goncourt, pour l’originalité des idées politiques et historiques qu’il traite d’une manière sous-jacente dans cette œuvre artistique et descriptive.


Monica MAURICE
Etudiante en Master
Faculté des langues (AL ALSUN)
Université de Ain Shams
Egypte
   




Tobie NATHAN
Ce pays qui te ressemble 
Stock, 540 p


Égypte: le paradis de la coexistence

     Tobie Nathan, lauréat du Prix Femina pour son œuvre Ethno-roman, a pu nous brosser, dans son nouveau roman intitulé Ce pays qui te ressemble, un tableau parfait de l'Égypte, au cours du XXe siècle. De 1925 à 1952, l'Égypte a été le théâtre de la naissance de plusieurs sectes religieuses et d'une confrontation des idéaux.
     Tobie Nathan nous emmène en voyage dans le temps et l'espace : le temps à travers plusieurs décennies et l'espace du nord vers le sud. On découvre les différentes ruelles du Caire, les palais, le Delta, le Nil, etc. De même, on vit le mandat du roi Farouk et du président Gamal Abdel Nasser qui lui a succédé.
     Cet écrivain juif, né au Caire en 1948, met l'accent sur la fraternité entre Musulmans, Juifs et Coptes, les trois religions menant ensemble une vie paisible, chacun s'adaptant aux traditions et à la doctrine de l'autre. Tobie Nathan manie sa plume en décrivant des scènes qu'on ne peut pas voir aujourd'hui entre Arabes et Juifs. Malgré cette relation étroite, l'expulsion des Juifs, l'arrivée au pouvoir de Nasser et la montée des Frères musulmans ont fait basculer cette relation.
     Avec un style élégant, Tobie Nathan réussit à jeter la lumière sur deux classes sociales antonymiques, les pauvres et les riches: derrière ces deux termes contradictoires se cache le fossé entre les deux classes sociales.
     Zohar, juif pauvre, est né sain, malgré le handicap de son père et les sorcelleries de sa mère. Après l'expulsion massive des Juifs, Zohar ressent un sentiment nostalgique. De fait, Tobie Nathan parle via la voix du héros : c'est lui qui éprouve cette nostalgie en disant : "Si j'ai quitté l'Égypte, l'Égypte ne m'a jamais quitté".
Bref, avec un titre très bien choisi et un roman de 535 pages, Tobie Nathan a cristallisé l'image de l'Égypte, la « mère du monde ». Un roman riche de sentiments, qui combine passé et présent, traditions et superstitions, religions et dogmes, monde ancien et monde moderne, paix et guerre.



Mariam SAID
Faculté des Langues (Al-Alsun)
Université de Ain Shams
Le Caire, Égypte




Petit Piment
Alain Mabanckou
Seuil, 288 p

Petit Piment, un bon conte assaisonné à l'Africaine

Avec Petit Piment, Alain Mabanckou, auteur de plusieurs romans, dont Mémoires de porc-épic (Seuil, 2006), revient une fois de plus à Pointe-Noire, la ville portuaire du Congo où il a grandi, et qu'il a quittée à l'âge de 22 ans. En plaçant son récit dans les bas-fonds de la ville, il nous plonge, avec une grande lucidité, dans l'épaisseur du monde africain à travers l'histoire d'un jeune orphelin congolais dont il narre l’existence à la fin des années 1970, de l’enfance à l’âge adulte. Une vie tragique et hautement romanesque, pourtant inspirée de la vie bien réelle d'un vagabond rencontré par le romancier dans les rues de Pointe-Noire.
C'est en fait l'histoire d'un Oliver Twist à l'africaine. L'auteur met en scène Moïse, jeune orphelin de 13 ans, affublé du surnom de « Petit Piment », qui vit dans un orphelinat dirigé par un directeur autoritaire et corrompu. Moïse, comme son meilleur ami Bonaventure, a été abandonné à l'âge de 2 mois et recueilli dans cet orphelinat géré par une congrégation religieuse. Leurs seuls rayons de soleil sont les originales leçons de catéchisme du prêtre Papa Moupelo. Mais la "révolution socialiste" s'installe dans le pays et l'orphelinat passe aux mains d'un directeur nommé par les autorités politiques, le gouvernement interdisant la religion dans les établissements publics du pays.
À la première occasion, ­Petit Piment fuira ainsi ­l’orphelinat de Loango, dont le principal objectif est désormais de transformer ses quelques 300 pensionnaires en fervents partisans de la révolution. S'ensuivra une vie d'errance avant qu'il n’intègre une sorte de famille d'adoption auprès de Maman Fiat 500, une patronne de bordel qui le prend sous son aile, jusqu'au moment où la mairie décide de raser la maison close. Petit Piment en perd la raison, et entame une vie de démence … Ni le neuropsychologue bardé de diplômes qu’il ira consulter ni le guérisseur traditionnel ne parviendront à lui faire recouvrer ses esprits. Il sait qu’il a une vengeance à prendre contre celui qui a brisé son destin…
Conteur habile et inspiré, Mabanckou est aussi un observateur aigu de la société congolaise. À travers ce roman social qui aborde l’enfance malmenée, le lecteur découvre en filigrane l'Histoire de ce pays, dans les années 60-70, l'indépendance, la révolution socialiste ... Et, au-delà du destin de quelques personnages, la cor­­ruption, les conflits ethniques, la pauvreté, l’esclavage, la condition des femmes.
La plume d'Alain Mabanckou est légère et élégante et ses personnages sont originaux, attachants et pleins d'humanité. Sa langue est vivante et imagée, pleine d'humour, notamment dans le choix parlant des noms des personnages. Ces derniers sont déjà riches en couleur et nous apportent différentes visions du Congo. Ce sont les petites histoires de chacun qui permettent de mieux cerner la grande Histoire du personnage principal de ce roman, le Congo.


Michel NACHAAT
Assistant et étudiant en Master
Faculté des Langues (Al-Alsun)
Université de Ain Shams
Le Caire, Égypte


              
Boualem Sansal
2084. La Fin du monde
Paris, Gallimard, 2015, 275 p.


Voyage ténébreux vers l'avenir

      Inspiré par les événements en cours sur la scène de l’actualité, et surtout par l'émergence de groupes islamistes (comme Daech et Ansar…) dans certains pays arabes, l'écrivain algérien Boualem Sansal invente des personnages, des faits et des événements qui se déroulent dans un futur lointain, dans un univers imaginaire.
L'auteur, dès le début, fait allusion au roman "1984" d’Orwell qui, fortement inspiré par les régimes nazi et soviétique, décrivait un système totalitaire et présentait une violente satire des dictatures religieuses. L'écrivain Michel Houellebecq quant à lui procède à la même analyse dans son roman Soumission, où il imagine la France de 2022 gouvernée par un parti musulman.

     2084 est la date fatidique où commence le règne de Yolah sur un territoire quelque peu indéfini nommé Abistan. Avant cette date, rien n'existe. À croire que le monde est sorti du néant. Un an zéro régi par des guerres totales, nucléaires, déclenchées dans le simple but de vaincre l’Ennemi, l’Infidèle, le Non-croyant en Yölah dont Ati est le prophète.
     Dans son roman 2084 La fin du monde, l'auteur imagine que la mondialisation va conduire l'islamisme au pouvoir dans une cinquantaine d'années, notamment en Europe, après le monde arabe et l'Afrique. Roman audacieux qui critique la dictature religieuse : pour soumettre les peuples, il faut les faire vivre dans la peur et l'ignorance. La grande guerre, remportée par les émules d'une forme gravement dégénérée d'une brillante religion transforme les misérables croyants en glorieux et profitables martyrs. Obéissance, soumission, amnésie et surveillance rythment le quotidien des sujets, interdits de circulation sauf, suprême honneur, pour participer au pèlerinage dans l'un des lieux saints foulés par Abi. L'écrivain ne critique pas l'islam en tant que tel, mais braque la lumière sur les actes de certains représentants de la religion et certains radicaux responsables d’actes comparables à l'attentat de Charlie Hebdo, inhumains et criminels.
     Nous pourrions toutefois reprocher à l'auteur d'avoir évoqué négativement certaines pratiques et habitudes de l'islam.
    Boualem Sansal est un écrivain algérien francophone, principalement romancier mais aussi essayiste, censuré dans son pays d'origine à cause de sa position très critique (https://fr.wikipedia.org/wiki/Boualem_Sansal - cite_note-1) vis-à-vis du pouvoir en place. Le style qu'il adopte dans ce roman est fascinant et attirant ; nous sentons qu’il établit un certain rapport entre le monde illusoire qu'il a créé et quelques-unes des pratiques politiques contemporaines. Il nous plonge avec lui dans son imagination, a recours à une trame romanesque et aux rebondissements dignes d’un conte pour éclairer le lecteur et le mettre face à des vérités désagréables et bien dérangeantes : par exemple, celle qui est énoncée en exergue du roman : « La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité ». La force de ce roman est qu’il démonte un à un les mécanismes qui conduisent au totalitarisme religieux et à l’obscurantisme comme modes de conduite.
   2084. La fin du monde est un roman choc certes signé de la plume magnifique et courageuse de B. Sansal, un roman terrifiant qui fait la part belle à l’humour et à l’ironie. C'est un livre que tout le monde devrait lire, notamment les hommes politiques et les journalistes, c'est une alerte : réveillons-nous !
                                   

Monica MIMI MAURICE
Étudiante en Master
Faculté des langues AL Alsun
Université de Ain Shams



EVA
SIMON LIBERATI
PARIS – STOCK, 278 p

EVA, un cœur mis à nu

     EVA, édité chez Stock, est le 6ème roman du journaliste français Simon Liberati.

    Dans une confession émouvante, empreinte d’une sensibilité subtile et de sensations pures, l’auteur/narrateur dévoile le portrait de son épouse Eva Ionesco, qu’il peint dans son récit, par petites touches, à la manière des impressionnistes, laissant le lecteur à la fois ému et choqué. EVA est un récit bouleversant consacré à son inspiratrice, à sa muse, à cette “fée surgie de l’arrière monde d’une manière inattendue”.

     EVA est aussi l’histoire de la rencontre entre deux âmes que la vie a abîmées. La première est celle d’un écrivain, désespéré à l’idée de perdre l’inspiration, et si éprouvé par sa solitude qu’il a perdu tout espoir de remonter la pente. La deuxième est celle d’un personnage au passé lourd, rencontré fortuitement, perdu et puis retrouvé. EVA est l’histoire poétique d’un amour inconditionnel à la fois vraie et extraordinaire.

      “Je sentais renaître avec une douceur mêlée d’effroi un vertige que j’ai connu très jeune, l’aliénation à un autre. Il y a une part de foi dans l’amour qui se prononce de manière délibérée en soi comme un vœu. Il ne s’agit pas de dire “je t’aime” mais d’accepter au fond de soi d’aimer l’autre, c’est-à-dire de ne plus différencier le sort de l’autre du sien propre.”

     EVA, le roman, n’est pas une biographie. L’auteur reconstitue mais ne rédige pas une biographie. Une biographie d’Eva est impossible car cette femme/enfant, qui fascine tant, contient en elle d’autres femmes. Eva, au passé tumultueux, a vécu plusieurs vies et bien davantage.

     Eva Ionesco, née en mai 1965, a été objet de scandale durant des années: sa mère, la photographe Irina Ionesco, la mettait en scène régulièrement dès l’âge de 4 ans dans des poses dénudées et érotiques. Tout juste adolescente, elle a été l’objet de centaines de clichés érotiques, elle a été photographiée en couverture du Der Spiegel entièrement nue, et elle a même joué dans un film érotique, à tel point qu’on l’a baptisée “Baby Porn”, un joli/drôle de surnom pour une petite fille qui n’a pas encore fêté ses 13 ans.

     Avant que Simon Liberati ne rencontre réellement Eva en 2013 et l’épouse, les chemins de l’auteur et de son héroïne se sont croisés à plusieurs reprises. La première rencontre a lieu en 1979, à l’époque où Eva avait une réputation “terrible”. Elle n’avait que 13 ans mais elle était déjà un personnage. “Eva avait 13 ans, j’avais 19, elle était mon aînée.”
     L’auteur décrit le cadre temporel des années 1970 à Paris, caractérisé par la libéralisation des mœurs suite à la Révolution de mai 1968. Ce mouvement a eu des répercussions aussi bien politiques que sur les coutumes: libération sexuelle et relâchement moral. Aussi l’oppression qui pesait sur la vie sexuelle a-t-elle sensiblement diminué. Restitué par l’auteur, le climat de cette époque témoigne d’une liberté sans limites au point de tolérer, par certains aspects, la pédophilie.
Simon Liberati peint le décor de cette époque: les nuits, la défonce et la permissivité concernant le rapport aux corps des enfants, sans pour autant minimiser la cruauté et la violence exercées par Irina Ionesco sur son enfant; la brutalité d’une mère qui n’embrasse jamais sa fille et ne lui manifeste aucune tendresse.

     Eva est un roman conté avec l’immense douceur d’un écrivain amoureux qui rend un très bel hommage à la femme aimée et qui réchauffe à force de bienveillance et d’amour la froideur de son passé. Avec une plume empreinte de magie, l’auteur a pu effacer le roman violent du passé d’Eva pour lui substituer un grand roman d’amour. Au fil des pages, le lecteur navigue entre les vagues du passé et du présent, en oscillant entre deux Eva: celle hantée par son passé, et celle ancrée dans le présent. Ce récit émouvant témoigne d’un talent certain, un sens percutant du détail et des phrases dont le rythme résonne en échos au détour des pages. L’auteur ne se prive pas d’emprunter au lexique de la mystique pour créer une œuvre féerique et somptueusement composée. Cependant, ces constants sauts dans le temps risquent parfois de dérouter le lecteur et lui donnent parfois le sentiment de tourner en rond. Eva, cette sirène repêchée des eaux obscures et marécageuses, donne franchement le vertige.

     Eva est, avant tout, le récit d’une résistante qui a pu, malgré la laideur de son passé, se relever et retrouver la beauté de la vie. Le nom EVA se lie dans mon esprit à d’autres Eva qui appartiennent à notre Moyen-Orient. Des Eva si nombreuses qui, malgré la diversité de leurs souffrances, ressemblent à l’Eva du livre. Ces enfants-Eva arrachés à l’innocence de l’enfance et jetés dans la perversité du monde adulte, luttent et se débattent constamment dans l’Océan agité des guerres, de l’extrémisme et de la misère, tout en espérant, comme l’Eva du livre, un hasard ou bien une rencontre inattendue qui viendrait les repêcher avant le naufrage.
EVA ou HAWWA’, celle qui fut à l’origine source du pêché originel, est aussi “vivante” ou “source de vie”.


Joumana KANAAN
Université Libanaise
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Section 2, Fanar
Département de Langues et Littérature Françaises
Liban





Mathias ÉNARD
Boussole
Ed. Actes Sud, 2015, 378 p.

En quête de l’Orient des Lumières

            Et si l’on nuançait cette vision obscurantiste et barbare de l’Orient que nous présentent aujourd’hui les médias ? Cette vision ne dissimule-t-elle pas des richesses inouïes derrière les conflits violents qui l’enlisent dans les méandres du déclin? Au sein d’un monde qui a perdu le Nord, Mathias Énard fait dévier l’aiguille de sa boussole vers l’Est et magnétise notre intérêt vers « l’Orient des Lumières ».
            Dans son appartement viennois, le narrateur, Franz Ritter, musicologue malade, féru d’orientalisme, se résigne à une longue nuit d’insomnie après avoir reçu une lettre de sa bien-aimée, Sarah. Les souvenirs affluent. Il se remémore leur rencontre au château de Hainfeld où résidait jadis Hammer-Purgstall, premier orientaliste à traduire Les Mille et Une Nuits. C’est à partir de ce moment que les deux protagonistes se mettent à « explorer cet entre-deux, ce barzakh, le monde entre les mondes où tombent les artistes et les voyageurs » (p.11).
 Istanbul, Alep, Damas, Palmyre, Téhéran… un long itinéraire parsemé d’anecdotes qui recèlent l’apport d’intellectuels orientaux et d’orientalistes oubliés, tombés en discrédit, et qui mettent en exergue le rôle de l’Occident dans l’expansion de leur culture. Une kyrielle de références littéraires, musicales, religieuses, historiques et politiques se déploie au fil des chapitres et constitue un réseau cognitif dense qui éclaire la contribution de l’Orient dans la révolution des arts. Ainsi découvre-t-on que Proust s’est inspiré des Mille et Une Nuits pour écrire sa Recherche du temps perdu, que les œuvres d’Omar Khayyam, Sadegh Hedayat, Roumi et Hafez – dont certains poèmes ont été mis en musique par Schubert – constituent un tournant dans la littérature universelle, que l’architecture de Palmyre a intéressé plusieurs archéologues et a été reproduite en Europe…
Boussole exploite les caractéristiques de la littérature du troisième millénaire qui offre à l’auteur une grande marge de liberté : le déferlement des références culturelles se substitue aux normes romanesques traditionnelles et métamorphose l’œuvre en une encyclopédie, en un Dictionnaire amoureux de l’Orient. Comme un métronome, les titres des chapitres qui marquent la fuite du temps pendant la nuit d’insomnie de Franz scandent la narration et nous sensibilisent à l’écoulement du temps fictionnel. Les emprunts linguistiques à l’arabe, les photographies ainsi que les documents scientifiques et littéraires en rapport avec l’Orient insérés habilement dans le roman, lui confèrent un haut degré d’authenticité. C’est à travers les anachronies narratives fréquentes qui amalgament l’histoire des personnages fictifs et celle des personnes réelles que l’auteur arrive à stimuler constamment la curiosité des lecteurs assoiffés de savoir.
Dans ce récit à la fois romanesque et documentaire, Mathias Énard transmet son érudition et confie son rêve au personnage insolite de Sarah. La recherche académique est vécue par elle comme une vocation, voire une obsession. Du point de vue de Sarah, il est nécessaire que les intellectuels et l’opinion « [changent] de perspective » (p.276), qu’ils réalisent cette « impossibilité de séparer » (p.276) l’Europe de l’Orient. C’est pourquoi elle prône une « nouvelle vision qui inclut l’autre en soi. Des deux côtés » (p.276). À l’instar de ses personnages, Mathias Énard, écrivain français et professeur d’arabe à l’université de Barcelone, a déjà effectué divers séjours en Orient. D’ailleurs, cette région du monde s’avère être l’actant principal dans ce roman.
En établissant à maintes reprises un parallélisme entre ses agréables souvenirs en Syrie et la violence consternante qui y sévit de nos jours, le narrateur s’indigne de la déchéance du monde oriental où se concentrait majoritairement le poids intellectuel des deux hémisphères. « Parfois j’ai l’impression […] que la ténèbre occidentale a envahi l’Orient des Lumières. […] Que la construction cosmopolite du monde ne se fait plus dans l’échange de l’amour et de la pensée mais dans celui de la violence » (p.338). Dans quelle mesure l’Occident est-il dûment responsable de la situation pénible et inextricable dans laquelle l’Orient est empêtré? En contrepartie, nos sociétés ne s’autodétruisent-elles point en se cantonnant dans un nationalisme, voire un confessionnalisme souvent meurtrier ?
En scrutant la frontière entre l’Orient et l’Occident, Mathias Énard nous invite à envisager entre eux une « construction commune » (p.293) et à négliger les insinuations délétères des médias et des politiciens. N’est-il pas désormais impératif qu’une harmonie renaisse entre ces deux mondes? Serions-nous alors à même d’affranchir nos sociétés de la question tyrannique de l’identité et de la différence? Un rêve difficile à réaliser mais dont la concrétisation nous épargnerait des périls imminents !

Layal DAGHER
Université Libanaise – Section II
Faculté des Lettres et des Sciences     humaines
Département de langue et de littérature  françaises
Licence en langue et littérature françaises


 
Hédi Kaddour
Les Prépondérants
Gallimard, 2015, 464 p.


« Les Arabes, les Français, les Américains et les autres… »

Dans un bled marocain, érigé au rang de cité cosmopolite, les Arabes et les prépondérants se disputent. Pourtant, si les prépondérants français s’emparent du livre jusqu’à s’en approprier le titre, ce n’est qu’en vertu de la loi des pages brûlées, à l’instar de la politique des terres brûlées. Ainsi, loin de rebattre les sentiers battus du colonialisme, le récit qui renverse l’ordre des choses devient le manifeste de l’émancipation féminine.
Rania, jeune veuve de guerre, Kathryn, actrice américaine et Gabrielle, la journaliste française sont les différentes faces d’une seule femme dispersée en trois personnages. Ainsi est dénoncée la condition de la femme, et cela dans un monde qui bascule dans une nouvelle ère : celle du retirement, autant arbitraire qu’imperceptible du colonialisme français au profit de la remontée du capitalisme américain. Dépassant son statut de simple réquisitoire, le récit élargit la condition féminine à la condition humaine quand les hommes et les femmes se retrouvent liés par l’amour.
Raouf, Ganthier, Belkhodja sont des instances masculines du récit ; seulement des instances et non pas de vrais personnages aussi substantiels que leur contreparties féminines. Raouf, jeune Arabe cultivé est promu au rang du protagoniste du récit. Bien que le récit évolue dans le sens d’une mise en valeur de ce personnage jusqu’à en faire, dans un narcissisme arabisant, le centre de l’attention féminine du récit, le traitement parfois trop symbolique de son caractère, le destitue de son statut prépondérant de personnage-clé et le réduit, dans les dernières pages, à un simple figurant de défilé. Il en va de même des autres rôles masculins du récit : des archétypes, pour ne pas dire les reliques d’un passé mal révolu de domination masculine.
Les Arabes, les Américains, les Français et les autres… Les Prépondérants est le récit d’un univers romanesque qui vole en éclat. Récit où le happy end est le lot des Américains, tandis que le colonialisme français tardif, incarné dans le personnage du Résident général, Marfaing, se veut inébranlable, même baptisé postcolonial. Et ce n’est que l’Arabe qui doit payer les frais en incarnant le rôle du personnage tragique.


Fahimeh Davari
Étudiante de maîtrise en Langue et Littérature françaises
Faculté des Langues et Littératures étrangères
Université de Téhéran
Iran


 

Nathalie AZOULAI
Titus n’aimait pas BéréniceParis,
Éditions P.O.L, 316 p.                                                           

Le Racine du chagrin
« La  plaie qui l'a percée siffle dans sa poitrine»
Titus quitte Bérénice dans un café à Paris ; il ne peut pas ou ne veut pas se séparer de Roma, son épouse et mère de ses enfants. Rien ne pouvant la consoler, Bérénice vit un chagrin d'amour et un malheur qu’elle n’arrive pas à décrire, jusqu’au moment où elle entend un vers de Racine décrivant à fond son état d’âme. Elle décide de lire toutes ses œuvres qui deviennent avec le temps son ultime consolation et refuge. Jean Racine comprend les sentiments des femmes, leur chagrin et leurs souffrances, il sait davantage comment l’exprimer, en décrire les détails et les nuances malgré le fait qu’aucune des biographies ne livre d’indice sur le fait qu’il ait déjà subi les tumultes de la séparation.
L’écrivaine traite des sentiments féminins et plus particulièrement des différents types d'amour que les femmes ressentent et éprouvent ; l’amour maternel, l’amour fraternel, l’amour entre amies et dans ce dernier roman,  l'amour d’une amante pour un homme marié ; ses souffrances et son « chagrin ».  À première vue nous pensons que le roman racontera les souffrances d’une Bérénice délaissée par un certain Titus au XXIème siècle, mais nous nous retrouvons au contraire au XVIIème siècle « disséquant » en détails la vie et l’œuvre de Jean Racine. L’écrivaine consacre la plus grande part de son roman à la ré-imagination et la réécriture de la biographie du grand dramaturge classique. Elle ne raconte l’histoire des protagonistes Titus et Bérénice qu’en marge de celle-ci. Cette biographie renferme des détails tantôt réels et tantôt imaginés sur son enfance, son ambition, ses liaisons amoureuses, ses sources d’inspiration et finalement son œuvre. L’écrivaine crée des personnages et invente des détails pour justifier ce génie et cette grandeur d’expression. Ce roman constitue ainsi une tentative de retour aux "Racines" de l’expression des sentiments de tumulte et de chagrin de toute femme abandonnée. En évoquant la poésie de Racine, Nathalie Azoulai tente de redonner vie aux mots pour qu'ils ne soient pas juste des séries de sons dépourvus de sens.
Racine avait pour objectif de purifier la langue française et de la rendre aussi expressive que la langue latine qui le fascinait mais qui était pourtant « une langue morte ». Il traitait la langue en chimiste ; dans ses vers, il ajoutait les mots comme dans une formule chimique pour arriver à l’expression exacte des sentiments et produire les effets de sens visés. Il peignait le ressenti plutôt que le vu ; « la terre en rouge et le ciel en vert » et optait pour des amalgames nouveaux pour son temps. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’écrivaine a choisi Racine précisément plutôt que Corneille, les paroles de consolation étant devenues des paroles étudiées qu'on répète sans sentir. En créant un pont entre le XVIIème et le XXIème siècles, en privilégiant l’emploi du présent de la narration tout au long du roman, Nathalie Azoulai souligne le fait que les sentiments dépassent espace et temps. Le style poétique, balançant entre latin et français, nous redonne goût à l’âme de la langue et son pouvoir expressif. L’auteure crée de fait une œuvre universelle qui décrit les sentiments de la Femme. Son œuvre transforme Titus, Bérénice et Roma en noms communs constitutifs d’un triangle d’amour où les regards ne se croisent jamais, où A regarde B qui regarde C : Titus symbole de l’homme capricieux et incapable d’aimer – ce qui justifie l’emploi de l’imparfait dans le titre –, Bérénice symbole de l’amante et Roma symbole de l’épouse et mère, qui malgré sa résonance avec amor n’inspire plus que des sentiments amers.
L’écrivaine combat la banalité des paroles « émoussées » d’empathie en faisant revivre Racine au XXIème siècle.  Ainsi en empruntant sa voix, Nathalie Azoulai se déclare-t-elle double et disciple de Racine. En s’inspirant de sa méthode, le monde pourra un jour se souvenir d’une Bérénice du XXIème siècle puisque « Si vous parvenez à saisir tout ce qui se passe dans l'annonce d'une séparation, vous êtes au cœur de la condition humaine, ses désirs, sa solitude. »

Emanuel MANSOUR
Université d’Alexandrie
 Faculté des Lettres
Département de langue et de littérature françaises (DLLF)
Égypte



 
                       
Hédi Kaddour
Les Prépondérants
Paris, Gallimard, 2015, 464 p.

Le Tour du monde en 460 pages

Etsi l’Orient et l’Occident se liaient par une histoire d’amour?... Ungroupe d’Américains d’Hollywood arrivent dans les années 1920 à Nahbès, unepetite ville du Maghreb, pour tourner un nouveau film. Se considérant commeétant ‘’l’organisation la plus puissante du pays’’, ils se nomment les‘’Prépondérants’’. Cet événement imprévu bouleverse le calme de la populationindigène ainsi que des colonisateurs français entraînant une successiond’événements et d’incidents où amitié, amour, aventure, politique, littératureet art s’entrelacent.
Poèteet romancier tunisien, Hédi Kaddour cherche à mêler dans ses œuvres des thèmesaussi divers que l’Histoire, l’amour, l’aventure, thèmes qui viennent enrichirla trame de ses romans. C’est ainsi qu’il décide d’embrasser l’Orient etl’Occident dans son nouveau roman qui évoque trois moments cruciaux: lechoc culturel dû au décalage Orient-Occident, le voyage qui représente untournant dans la vie des protagonistes et le retour à Nahbès marquant lamétamorphose des personnages et la fin des illusions.
Pris dans cette nouvelle vague quienvahit le pays, Raouf, Rania, Kathryn, Ganthier et Gabrielle se lient d'uneforte amitié qui frôle pour certains l’amour et ce malgré leurs différencesculturelles. Tous ces personnages, à l’exception de Rania, font un long voyageen France, en Alsace et en Allemagne, ces contrées correspondant pour eux à unmonde de rêve. Une fois arrivés, ils en découvrent la vraie face, où la misèreet la faim règnent. L’image de ces prétendus pays de Cocagne ne tarde pas às’effondrer à leurs yeux.
S’attachant à mettre en relief ledécalage Orient-Occident, HédiKaddour évoque le statutdes femmes orientales asservies au sein d'une société patriarcale. Plein derancune contre Rania, sa sœur, Taïeb trouvant qu’il ‘’était contre nature delaisser autant de place à une fille’’, chercheà la marier contre songré afin de s'emparer de la terre et satisfaire son ego.Que fera-t-elle alors faceà l'esprit rétrogradede son frère et aux coutumes jugées barbares qu’il véhicule? Kaddour met ainsi en valeur deux types de femmes dont le statut esttotalement contradictoire: Kathryn, prototype de la femme émancipée et lafemme de Belkhodja, exemple de femme opprimée et soumise à son mari et sescaprices. Rania, à cheval entre les deux, reflète les prémices d’uneémancipation féminine dans une société enfermée dans ses pensées et coutumesrétrogrades.
Hédi Kaddour marie harmonieusement tousces thèmes dans un styleléger, attachant, à la foisrapide et haché. La description minutieuse occupant une place primordiale dansce roman tend à visualiser les personnages et les différents pays mentionnés,incitant le lecteurà voyager lui aussi à son tour dans les pages duroman. Bref,les Prépondérantsest un livre de chevet à ne pasmanquer!

Dina MOSSAAD
Nadine PHILIPS
Faculté des Lettres
Département de Langue et deLittérature Françaises
Université d'Alexandrie
Égypte


           
AlainMabanckou
Petit piment
Paris, Le Seuil (2015), 273 p.

BonneAventure

"Tokomisa Nzambe po Mose yamoyindo abotami namboka ya Bakoko”:c’est sur ce nom écrit en lingala qu’Alain MABANCKOU, auteur d’une dizaine deromans, poète, essayiste, finaliste du Man Booker International Prize (2015) etprofesseur de littérature francophone à UCLA, ouvre son roman Petitpiment. Ce dernier est en fait décrit comme étant «l’écho» del’œuvre autobiographique du même auteur,Lumières de Pointe Noire. Eneffet, si le premier livre nous donne une vue d’ensemble sur la vie congolaisedans les années 1970 et sur la révolution socialiste et scientifique, le secondtraitera de la vie familiale de l’écrivain, qui s’est abstenu d’assister auxfunérailles de ses parents. Un tel refus s’explique par le fait qu’on yexposait le corps du défunt pour que sa famille lui fasse ses derniers adieux.
L’histoire commence lorsque, nourrisson,Petit piment est abandonné devant l’Orphelinat de Loango, situé près de laville de Pointe Noire où l’auteur est né le 24 février 1966 et où il a vécuavant de partir en France à l’âge de 22 ans pour faire son droit. Ce lieuinspirant mélancolie et méfiance est dirigé par Dieudonné Ngoulmoumako, être sévère, autoritaire, sinistre et corrompu,connu par son hypocrisie politique, son intolérance et sa discrimination:« Si Dieudonné Ngoulmoumako a survécu et s’est maintenu à son poste,c’est parce qu’il a toujours eu un comportement de girouette», «Tout le personnel de la cantine avait été viré, remplacé par des Bembés».D’ailleurs, Alain Mabanckou combat constamment le racisme: il considèrela littérature comme étant rassembleuse d’hommes malgré leurs différencesethniques.
Ainsi, cet enfant malchanceux et son amiBonaventure ne trouvaient leur joie qu’une fois par semaine, à l’arrivée depapa Moupelo qui leur rendait leur liberté: « Imaginez maintenant que cesmêmes épaules sont des ailes et que vous vous apprêtez à vous envoler».De plus, l’enfant trouve sa satisfaction dans les conversations entamées autourde son interminable prénom, qui lui a été donné par le prêtre. Il avait ausside l’affection pour Niangui qui jouait le rôle de sa mère qu’il n’a jamaisconnue.
Toutefois, lorsque la révolution éclate dansle pays et que les prêtres sont accusés d’aveugler le peuple, les enfants sevoient brusquement privés de ces moments agréables. Au lieu des chansons, ilssont obligés de mémoriser les discours du Président de la république. Lelecteur note alors un changement négatif dans le comportement du garçon quiaccomplit son premier mais non son dernier acte rancunier: pimenter lesaliments de Songi-Songi et Tala-Tala pour venger son ami. Notons que c’est dèsce moment que Mose obtiendra son surnom qui réapparaît à plusieurs reprises duroman, en référence à ses vengeances répétées. Petit piment finit par trouvercette vie monotone et souhaite changer son destin. C’est ainsi qu’il fera laconnaissance de Mme Fiat 500 et de ses filles. Et à notre grande surprise,malgré la profession déshonorable de celle-ci, nous nous apercevons qu’AlainMabanckou a voulu lui rendre hommage puisqu’elle reflète le caractère courageuxet aimable de la femme africaine qui sacrifie sa vie pour le bonheur de sesenfants.
Somme toute, le style de l’auteur s’avèreêtre simple, facile à comprendre, basé sur la fréquence des descriptions quipermettent au lecteur d’imaginer les personnages, et essentiellement ceux quiont marqué positivement la vie du protagoniste. Il est à noter que Mabanckouest loin d’être un moraliste mais un conteur de talent qui vise à mieux faireconnaître son village natal. Son œuvre est ponctuée de sagesse humaine: «Comme on dit, qui remet à demain trouve malheur en chemin.» Enfin et surtout,l’ironie occupe une place primordiale dans les écrits d’Alain Mabanckou: nomsexotiques, exagération, superstitions,… etc. Ceci n’empêche pas le réalismedans sa peinture de la société rétrograde et primitive de son époque.
Tous ces points résumant son style singulier et sa capacité intellectuellepeuvent certainement expliquer son obtention du Grand Prix de littératureHenri-Gal 2012 remis par l'Institut de France sur la proposition de l'Académiefrançaisepour l'ensemble de l'œuvre ainsi que pour la traduction de sesromans dans 20 langues.


Maria HANEE SALAMA
Faculté des lettres
Département de Langue et de Littérature Françaises
Université d’Alexandrie
Égypte



           
Hédi Kaddour
Les Prépondérants
Paris, Gallimard,2015, 464 p.


Zoom sur le mondede l’entre deux-guerres

À quoi ressemblele monde de l’entre-deux-guerres? Quelles ont été les conséquences de lapremière Guerre mondiale sur les pays vainqueurs, sur les pays vaincus, et lespays colonisés? Qu’en est-il de la société de cette époque et de sesmœurs?
Autant dequestions qu’aborde le nouveau roman de Hédi Kaddour,Les Prépondérants,paruaux éditions Gallimard. L’histoire commence au printemps 1922, dans la villeimaginaire de Nahbès en Afrique du Nord, où le calme de la ville est soudaininterrompu lorsqu’une équipe d’acteurs et de techniciens américains débarquepour tourner un film. Ces nouveaux venus apportent avec eux un vent de libertéque n’apprécient pas les colons français installés au Maghreb, «lesprépondérants», qui se voient tout d’un coup déclassés. Cette irruptionva bouleverser la vie des notables traditionnels de la ville aussi bien quecelle d’une partie de la jeunesse qui rêve d’indépendance.
Un«roman-monde» comme le définit si bien son auteur, où des universdifférents se rencontrent et s’affrontent pour dresser une chronique sociale dumonde de l’entre-deux-guerres. C’est ainsi que Kaddour fait se côtoyer entreautres trois femmes que tout sépare, et qui pourtant se lient d’amitié: Rania,jeune veuve maghrébine, fille de notables, éduquée dans la culture arabe etfrançaise, indépendante mais prisonnière des traditions de son pays, Gabrielle,grande journaliste française qui écrit pourl’AveniretL’illustration,et Kathryn actrice et vedette américaine émancipée.
Cependant, danscette rencontre des mondes, Hédi Kaddour, professeur de littérature,journaliste et poète à la fois, cherche non seulement à faire de son roman unechronique sociale de la première moitié du XXème siècle mais également unechronique politique et idéologique.
En effet, Kaddourouvre toute grande une fenêtre sur l’Europe de l’entre-deux-guerres àtravers son principal personnage masculin, Raouf, jeune homme brillant quivient d’obtenir son bac, et se voit confié par son père le «caïd»la mission de servir de guide au réalisateur et à sa femme, la belle Kathrynavec laquelle il aura une aventure amoureuse. Raouf est pris dans le mouvementde cette époque, et nourrit des rêves de révolution. Les circonstancesl’amèneront à voyager en Europe où il découvre la libération réussie del’Alsace d’où les Allemands se sont retirés en 1918, sans réclamerd’indemnités. De plus, il trace le parallèle avec Berlin occupée par lestroupes françaises.
Si l’auteurs’intéresse tellement à la première moitié du XXème siècle,«letemps des occasions ratées», c’est dit-il parce que «nous ytrouvons souvent les lignes de ce que nous sommes devenus».
Ce roman trèsdense, relate mille et une histoires qui sont autant de destins croisés.L’auteur fait preuve de beaucoup d’imagination, et d’un talent de conteur aussibien que d’une rigueur d’historien. Il dessine avec délicatesse et précisionses personnages, et joue sur l’entrecroisement des destins individuels et descollectivités. Il est surtout servi par une écriture fluide, souvent ponctuéed’expressions arabes, vestiges de souvenirs vécus durant ses longs séjours enTunisie et au Maroc.
 Les Prépondérantsest la chronique desdésenchantements de toute une époque. Le monde, qui s’apprête à changer,oscille en attendant entre puritanisme et libertinage, révolution etconservatisme, les individus eux-mêmes étant ballottés entre passion et tragédie.


Marise Hajj Sayah
3emeAnnée Lettres françaises
Faculté des Lettres et desSciences humaines
Départementde langue et de littérature françaises
Université Libanaise
 


Thomas B. Reverdy
Il était une ville
Flammarion, 2015, 272 pages. 
Hédi Kaddour
Les Prépondérants
Gallimard, 2015, 464 p.
Tobie Nathan
Ce pays qui te ressemble
Stock, 2015, 540 p.
Eva
Simon Liberati
Stock, 2015, 277 p.
Voyage en pays connus avec des Inconnus
Du cœur des États-Unis aux tréfonds de l’Afrique, s’étend la deuxième sélection du prix Goncourt, avec au centre, l’Orient et son âme insaisissable. Et un défi que plusieurs de ces livres tentent de relever : raconter une ville, un pays, une région. Relisant l’Histoire, ils mettent en récit ce qui a fait l’identité de cette région, en faisant vivre des personnages sur le fond d’une trame historique. Nous passerons rapidement en vue quatre d’entre ces livres sous cet angle.
Au cœur des États-Unis en proie à la crise économique se trouve l’œuvre de Thomas Reverdy, Il était une ville, dont les personnages, dévorés par des tourments matériels et psychologiques, face à un temps peu avenant, cherchent désespérément un refuge. Tous sont dominés par une pulsion illogique, qu’elle s’apparente, dans sa forme sublimée, à l’amour ou qu’elle relève purement d’un penchant (auto)destructeur. Qu’il se veuille ou pas une critique du capitalisme, ce livre tente de dessiner une situation sociale, mais ce faisant, il oublie ou presque le vécu de ces personnages. Le style descriptif et neutre du narrateur reflète la banalité de leurs vies à travers la mise en « image » d’un Eldorado délabré, au point où l’on oublie qu’il y a, dans le passé de ces bâtiments, l’histoire de gens qui y ont vécu, et y ont goûté au bonheur ainsi qu’au malheur de la vie. 
L’image-mot joue ici le rôle d’un crayon qui, à force de rayer, cache ce qu’il y a en dessous, tout à l’inverse d’un Simon Liberati dans Eva où il se charge d’élargir les cadres (ou cages, devrais-je dire) photographiques qui ont jadis enserré Eva, sa femme, la réduisant à un objet esthétique, et même érotique. Dans ce livre, les mots libèrent, réhabilitent le sujet. Ils s’érigent en guide pour les lecteurs, les conduisant dans les recoins de la vie cachée d’une fille dont l’image photographique ne leur avait pas présenté qu’une représentation truquée, « esthétisante »… Eva, sujette à deux reprises à un regard extérieur, subit la première fois, devant l’œil de l’appareil que tient sa mère, une aliénation. Ironiquement cette aliénation se fait sentir d’autant plus gravement que ce regard est réputé pour son exactitude, son réalisme. Elle est en revanche réhabilitée par le deuxième regard, transposé par la plume de son mari, le regard d’un écrivain, censé être subjectif, et qui lui rend l’humanité dont la photographie l’avait privée.
Ce souci de relecture se manifeste d’ailleurs dans deux autres romans de cette sélection, livres non moins somptueux : Les Prépondérants de Hédi Kaddour et Ce pays qui te ressemble  de Tobie Nathan. D’une écriture réfléchie et travaillée, ces deux ouvrages remontent aux origines des maux contemporains : le bouillonnement du Moyen-Orient qui le déchire de l’intérieur et perturbe ses relations avec « l’autre ». Les personnages de ces deux romans, situés tous les deux dans la première moitié du XXe siècle, prennent face à cette agitation des positions qui vont de l’indifférence forcée à l’opposition réactionnaire en passant par la « curiosité » réfléchie. Peu importe la position, tout le monde subit les effets de cette rencontre qui ne manque pas de rappeler « le choc des civilisations ». Les petites prises de positions innocentes produisent, une fois réunies, des effets inattendus et souvent dévastateurs, des effets qui vont bien au-delà de la région. Le monde entier en est touché. Rien ne se passe pourtant sur un autre continent (ou planète !) dont les images nous seraient télétransmises. Tout est là, sous nos yeux, palpable, intense : les gens issus du peuple deviennent des héros de cette tragédie dont la faim ne s’assouvit que du sang : Zohar dans Ce pays qui te ressemble et Raouf dans Les Prépondérants. Et nous, lecteurs issus du même lieu géographique et social, nous les suivons dans leurs évolutions et tribulations,  surtout Raouf, qui à travers un « long voyage » et l’expérience de l’amour, du mal, du bonheur, bref de la vie, abandonne sa position réactionnaire pour devenir un « curieux » avant de subir le sort bouleversant que beaucoup de ses semblables ont connu dans la réalité. Ou Zohar, cet enfant de la rue, ce Gavroche égyptien qui se tient à l’écart des affaires courantes d’un monde qui ne veut pas de lui et à qui il s’est imposé par la force de la magie. Ce jeune commerçant qui mène sa vie à lui, amoureux de ses proches, et ne se souciant guère des tumultes d’un pays qu’il croit sien, se trouve soudain confronté à une réalité dont le poids dépasse de loin la capacité de ses épaules. Et autour de ces deux héros, gravitent d’innombrables personnages qui ne manquent pas de nous rappeler certaines vies brisées (accomplissant par là la mission sacrée de la littérature), tressant à travers leur sort parfois ordinaire, souvent tragique, jamais heureux, l’histoire, l’Histoire, comme nous, nous le faisons aujourd’hui !
Mohammad Bahrami
Doctorant en Langue et Littérature Françaises
Faculté des Langues et Littératures étrangères
Département de Langue et Littérature Françaises
Université de Téhéran
Iran
 
Thomas B. Reverdy
Il était une ville
Flammarion, 2015, 269 pages.
Il était une ville
Detroit, ville américaine, fleuron de l'industrie automobile devient une ville fantôme après la crise de 2008 ; son centre-ville, totalement dévasté, oublié de tous, tente de survivre par gangs et magouilles interposés.
En 2008, Eugène, un jeune ingénieur français embauché par une grande multinationale, est envoyé à Detroit pour mener à bien un projet automobile. Il découvre l'envers du rêve américain en déambulant dans cette ville ruinée par la crise financière et dont des quartiers entiers sont laissés à l’abandon, vidés de leurs habitants qui ont fui vers de meilleurs auspices.
C'est en tuant le temps et la solitude dans le dernier bar de la ville qu'il rencontre Candice, serveuse enjôleuse. Sont aussi restés à Detroit Charlie, jeune garçon élevé par sa grand-mère Gloria, et sa bande de gamins désœuvrés cherchant à mettre le feu dans une ville déjà en cendres. Le jour où ils disparaissent, comme tant d'autres enfants depuis quelque temps, les entrailles de Gloria se soulèvent mais son angoisse se heurte à l'indifférence et à la léthargie générale. Seul l'inspecteur Brown, intrigué par ces disparitions d'enfants, semble vouloir lutter contre la fatalité et réveiller une ville au bord de la faillite.
Roman policier, psychologique, réaliste et social,  Il était une ville brosse les portraits d’une société dévastée par la mondialisation et d’une civilisation engloutie sous les décombres de l’immoralité humaine. La ruine d'une ville y est décrite de manière simple et efficace. En effet, les maisons de carton-pâte qui flambent aux néons clignotants des rues nous donnent l'impression de connaître la ville. On grelotte dans les bureaux sans chauffage des immeubles,  on se réchauffe dans le bar, dernier lieu de vie, et l'on est presque soulagé à la fin du roman de quitter ce décor glauque auquel on avait fini par s'attacher.
La structure du roman est également remarquable. Les différents personnages que Thomas B. Reverdy suit à tour de rôle induisent des perspectives et des tons différents. Quand on est avec Charlie et ses amis, l’ombre de Stephen King plane au-dessus du récit, évoquant l’enfance aventureuse en train de basculer vers l’adolescence, son chagrin, ses effrois et ses espoirs. L’enquête du lieutenant Brown donne, bien sûr, une coloration polar au roman.
 Dans Il était une ville, Thomas Reverdy exprime de manière troublante la poésie mélancolique d’un monde à l'envers où « flottent malgré tout des étoiles », ses charmes délétères, la grandeur de ses cieux, l'incongruité fascinante des images de sa désolation. On avance à pas comptés dans ce roman éblouissant d'émotions, portés par une prose charnelle, infiniment pudique et sensible. L’écriture est à la fois poétique et sociologique, simple et pleine de souffle, et le roman, captivant.
                                                                                                                                      
 Dima Loubany
 Faculté des lettres et des sciences humaines
 Département de traduction
Université Islamique IUL
Mathias Enard
Boussole
Actes Sud, 2015, 378 p.
Le Monde Oriental
    Sous le choc d’un diagnostic médical alarmant, Franz Ritter, musicologue viennois, fuit la longue nuit solitaire dans les souvenirs d’une vie de voyages, d’études et d’émerveillement.
    Dans Boussole, l’auteur rafraîchit les mémoires en explorant les rapports complexes entre l’Orient et l’Occident au cours des deux derniers siècles, s’attachant plus particulièrement à un courant orientaliste qui a pris son essor dans les domaines littéraire et artistique. Sur les routes de l’Orient, nous rencontrons de nombreux créateurs, savants et archéologues, des aventuriers et de fascinantes voyageuses comme l’Anglaise Lady Digby ou la Française Marga d’Andurain. Ce sont bien leurs récits qui contribuent à forger nos représentations, à construire notre imagination de cet Orient qui est, comme le dit Mathias Enard, “une vision de l’autre”.
    Dans ce roman dont l’ambition formelle est à la mesure du propos, Mathias Enard entraîne le lecteur sur les traces de ces “fous d’Orient”. Il le convie à une riche promenade amoureuse et romantique, mélancolique, mais non dénuée d’humour, évoquant de multiples anecdotes instructives et tirant d’un injuste oubli nombre d’auteurs, de traducteurs ou de compositeurs dont le rôle fut important. Il le plonge dans un réseau vertigineux de références diverses, reliant les œuvres et les hommes en soulignant les influences et les convergences mutuelles, car l’Europe et l’Orient se sont construits ensemble et ne peuvent s’envisager séparément.
Rouba Kassem
Faculté des lettres et des sciences humaines
Département de Traduction
Université Islamique
Mathias Énard
Boussole
Actes Sud, 377 pages
Une boussole « déboussolée »
Après avoir étudié l’arabe, le persan et avoir passé un long séjour au Moyen-Orient, Mathias Enard, écrivain et traducteur, publie Boussole où il met en scène le personnage de Franz Ritter, musicologue viennois angoissé par une maladie qui pourrait le mener à la mort. Victime d’insomnie, il se laisse emporter par un tourbillon de souvenirs.
Influencé par la technologie qui nous permet de voyager sans bouger, Mathias Enard nous emmène, par l’intermédiaire des souvenirs de son narrateur-personnage, dans un long voyage. Autriche, Turquie, Téhéran, Syrie, Égypte … sont autant de pays que le lecteur peut voir par le truchement de l’écriture comme un passager à travers la fenêtre d’un train, le hublot d’un navire ou d’un avion. Mais le voyageur de Boussole a l’avantage de faire un triple voyage dans l’espace, dans le temps et dans l’histoire culturelle de l’humanité.
Nombreuses sont les allusions aux œuvres et à la vie de savants, écrivains, musiciens, orientalistes venus des quatre coins du monde. Il s’agit de personnages réels qui côtoient les personnages fictifs du roman. Ceci souligne l’érudition qui se dégage de chaque page de l’œuvre.
Ces allusions sont nées grâce au travail de la mémoire. En effet, un tableau, une chanson, un simple mot permet à la manière de la madeleine de Proust, de rappeler au narrateur tel ou tel auteur mais aussi d’interminables histoires qui s’entrelacent conférant au roman une structure en gigogne. En effet, le roman est divisé en un double mouvement temporel et thématique. Les chapitres portent, en guise de titre, la mention d’une heure précise « 4 H 30 » (p. 279). Il existe aussi une division par thèmes où le narrateur évoque les chapitres qui composeraient l’ouvrage qu’il a l’intention d’écrire. Il arrive que cette dernière division empiète sur la division par chapitres. Quant au texte lui-même, il est incrusté de dialogues, de lettres, de courriels, d’articles universitaires, d’extraits d’ouvrages divers, etc.
Dans une telle structure, il se peut que le lecteur s’égare, ce qui semble normal dans un roman où le narrateur se trouve en possession d’une boussole qui, curieusement, montre l’Est. Mais loin d’être préjudiciable, l’égarement recouvre dans le roman une connotation méliorative. Il semble profitable. Ce serait un synonyme de gain comme le souligne cet épisode tiré du roman. Égarés dans le désert de Syrie, Franz et Sarah, avide de découvrir de nouveaux sites archéologiques, font la connaissance d’un cheikh qui leur parle de ruines oubliées et mystérieuses que seuls les bédouins connaissent. S’égarer c’est perdre ses propres points de repère, ses idées préconçues et se trouver à la recherche d’autres, recherche qui est presque toujours récompensée. Parlant de sa boussole bizarre, Franz nous apprend qu’il devait placer « le E sous l’aiguille au lieu du N, alors tout, par enchantement retrouvait sa place » (p. 255).  
L’appel à la tolérance n’a jamais été aussi éloquent. Par le truchement de son narrateur-personnage, Mathias Enard jette la lumière sur le rapport entre l’Orient et l’Occident. L’Orient a toujours fasciné les Occidentaux mais il les a aussi intrigués. Les influences que l’Orient a exercées sur l’histoire culturelle européenne sont multiples. Vienne, ville natale du narrateur, est représentée comme « Porta Orientis » ou « porte de l’Orient ». Bref, « il y a du soi dans l’autre ». Il s’agit là d’une phrase clé qui se répète comme un leitmotiv tout au long du roman. C’est là que réside tout l’intérêt de Boussole, ce roman qui véhicule un message d’amour, d’égalité, de compréhension et de tolérance, des valeurs susceptibles de résoudre les conflits et les guerres qui déchirent notre monde et que l’auteur évoque et critique dans son roman. Ainsi, grâce à son action mais aussi à son message, Boussole s’avère être un roman très actuel.    
En outre, soulignons la place importante qu’occupe Sarah dans le roman. Elle la tient du fait qu’elle est une chercheuse éprise de l’Orient. Le narrateur a passé un certain temps avec elle en Iran et en Syrie. Sarah représente aussi l’amour perdu. Le lecteur est sensible aux regrets qui animent le narrateur à chaque fois qu’il évoque les moments intimes passés avec elle, des moments dont il n’a pas pu profiter pour lui avouer ses sentiments. Mais après avoir reçu ce courriel envoyé par Sarah depuis le Sarawak, Franz devrait-il toujours garder un espoir ?  
Grâce à un style qui épouse les méandres de la pensée et du souvenir, un style qui se caractérise par un réalisme et une précision qui frise la scientificité, à la fois poétique et humoristique, Mathias Enard a créé un chef-d’œuvre captivant. 
Ola Eid
Sylvana Amin
Département de Langue et de Littérature Françaises
Faculté des Lettres
Université d’Alexandrie
Thomas B. Reverdy
Il était une ville
Ed. Flammarion, 2015, 268 p.
                                   
      Itinéraire d’une ville d’autrefois
      «  À la veille de la Catastrophe, comme disaient les gens ici, la ville était au bord d’un gouffre » (p. 34).
     
C’est toujours dans un contexte de crise qui surgit que s’inscrivent les écrits de Thomas B. Reverdy, depuis ses premiers romans et jusqu’à son cinquième en question. Ici l'auteur débute par l’ébranlement d’une ville qui s’est vidée de sa substance : il s’agit de la ville américaine de Detroit. Cette dernière n’est que le catalyseur et le personnage-pivot du roman comme l’indique le titre, Il était une ville. Une ville qui était jadis un lieu d'exploits et de succès, surtout dans l'industrie de l'automobile mais qui a subi une chute spectaculaire provoquant la faillite, la banqueroute et  les licenciements. Elle n'est devenue qu'une ombre, « une ville fantôme » ! 
   Plusieurs histoires s’entremêlent, en fait, dans le roman, qui n’est pas loin d’être un récit d’aventures présenté par le biais des personnages tels que, d’une part, Eugène – le héros qui n’était qu’ « un cadre à carrière courte » –, (p. 53) et d’autre part, Charlie – le petit gamin perdu et recherché par sa pauvre grand-mère Georgia.
   Il était une ville se déroule tout aussi bien dans un esprit d'enquête et d'investigation, laquelle est assurée par l'inspecteur Brown chargé d'un travail de titan afin de retrouver le gamin perdu. De cette partie, de la disparition  du gamin Charlie, émane d'une façon nette l’aspect policier dans le roman. C’est donc un roman à suivre sous tous ses aspects, y compris le versant polar.
    Le récit se poursuit dans un cadre descriptif de Detroit et de ses ruines tout en relatant la démarche des personnages au fil du roman. L’auteur brosse une analyse psychologique des personnages montrant leurs sentiments et leurs réflexions, ce qui confère de l’épaisseur à ses protagonistes, et la partie émouvante totalement consacrée à Georgia, la grand-mère effondrée qui déborde d'amour pour Charlie, prouve que l'étude psychologique est tout à fait réussie.    
    Le style de l’auteur est assez simple et surtout agréable à lire du fait que les chapitres sont très courts, le nombre des pages étant à peu près le même (de cinq à dix pages). On relèvera que tous ces chapitres sont titrés, ce qui donne des repères aux lecteurs.
    Le roman est néanmoins pourvu d’une particularité frappante pouvant ou non agacer le lecteur, c’est le rythme assez rapide de la narration, qui nous fait passer d’une époque à l’autre tout au long de l’histoire – un signe de maîtrise de l'auteur pour les uns et un élément perturbateur pour les autres. Et pourtant, l'écrivain présente sans conteste la trame de son récit avec une accélération modérée qui rend l’histoire compréhensible. 
    L’écrivain introduit également avec une grande virtuosité et une extrême sagesse des questionnements et des projections sur notre propre civilisation moderne. Citons dans ce sens : « Et c’est ce qui se joue aussi entre les sociétés humaines. Courir, on ne sait faire que ça » (p. 217).
     Le roman, qui oscille entre affliction, détresse et jubilation, ne s’achève pas sur la misère, ou au sein du désastre et des douleurs. En revanche, il part de la réalité apocalyptique citée dans le roman pour aboutir à une vie qui  reprend son cours : "un terrain à bâtir" (p. 266).
    Le dénouement de l'œuvre constitue l'espoir même, l'auteur annonçant à la dernière page (p. 267) que « c'est un tel terrain pour tout recommencer ». On pourrait même dire que dans cette vie lamentable, vie de chagrin et de sanglots, l’amour et l’amitié tentent de persister malgré tout.  Bref, l'espoir jaillit après ces images d’un monde sombre et morbide, faisant revivre la ville d'antan : " [...] Nous espérons des jours meilleurs et qu'elle resurgisse de ses cendres" (p. 203).
   Un roman épatant dans lequel tout est bien calibré, et qui tient le lecteur en haleine jusqu'aux dernières lignes, en un mot un roman qu'on lit avec plaisir!
 Yara Eid MOHAMED (assistante) 
 Marwa EL ZEINY (étudiante à la 4ème année)
 Faculté des lettres
  Département de langue et de littérature françaises
 Université d'Alexandrie





Nathalie Azoulai,
Titus n’aimait pas Bérénice,
P.O.L, Aout 2015.


Écartèlement
  
            “Cette vie, telle que tu la vis et l’a vécue, il te faudra la vivre encore une fois et d’innombrables fois; et elle ne comportera rien de nouveau, au contraire, chaque douleur et chaque plaisir et chaque pensée et chaque soupir et tout ce qu’il y a dans ta vie d’indiciblement petit et grand doit pour toi revenir, et tout suivant la même succession et le même enchaînement.” dit Nietzsche.
À ceux qui croient en l’éternel retour, à ceux qui se contentent d’en observer la théorie, ou encore à ceux qui n’en ont point entendu parler, Titus n’aimait pas Bérénice est un roman dont Nathalie Azoulai a écartelé l’histoire, non pas par quatre chevaux, mais par quatre siècles de différence. Adaptant à son XXIe siècle la Bérénice du XVIIe, que Racine a immortalisée, la romancière plonge son héroïne à la recherche de la raison pour laquelle “A ne peut jamais aimer B et en être aimé en retour”. Cette quête occupe l’espace de 276 pages à travers lesquelles la vie de ce fameux poète et dramaturge qu’était Racine est passée en revue, Racine qu’on en arriverait presque à blâmer d’avoir été à l’origine de nos désastreux chagrins d’amour. Auprès de nous, il redevient Jean, qu’on accompagne depuis son humble état initial jusqu’à son apothéose. Ainsi, le mystère est résolu : il aurait écrit ses pièces, inventant ces femmes dont les histoires d’amour sont condamnées par le tragique, afin qu’il puisse y comparer ses peines et en tirer quelque consolation. Quelle belle problématique subtilement glissée par cette écrivaine car au fond, n’est-ce pas ce que nous faisons ? Autour d’un café, lorsqu’une amie nous confesse ce qui lui fend le cœur, chez la voisine qui conte toutes ses mauvaises nouvelles... Dans les journaux, à la télévision, dans une salle de cinéma, ou encore entre les pages d’un livre. L’antidote auquel on revient quand et si besoin. Sadisme ou faiblesse de nature humaine ?

À ce récit s’ajoute des épisodes dévoilant le vif désir de cet homme, soucieux de pouvoir créer une langue plus pure, avec moins de contraintes et davantage de possibilités. Un retour à la langue latine, et encore une fois, à l’origine. La langue morte reprend vie, elle refleurit. Racine l’embellit, et on l’apprécie.
Traverser l’époque de Racine en sa compagnie, c’est également la redécouvrir. Tout au long du roman, on se tient toujours entre deux lieux évoquant deux dimensions différentes : d’une part Dieu et donc l’obligation que Racine a de suivre ses commandements ainsi que de se dédier à lui, et d’autre part le divertissement. Historiquement, ces notions renvoient à l’approche de Blaise Pascal, et cela en dit long sur le courant de pensée et la façon de vivre au XVIIe siècle. S’en suit alors une valeur sociologique qui est une allusion au fait que l’individu est toujours à cheval entre intériorisation et distension sociale. Donc en porte-à-faux entre ce que la société juge


 comme conformité ou déviance. Tel est un vertige incessant depuis la nuit des temps car se retrouver quelque part dans l’une voudrait dire qu’on l’est forcément aussi quelque part dans l’autre. Ainsi, il y aurait du sociologique partout, même dans un roman que certains accuseraient de “biographie plate”.
Ce roman est une bouffée d’air, une machine à remonter le temps qui fait ressortir ce qu’on a tendance à ensevelir sous un monde toujours en guerre et en chaos. Quoi donc ? À vous de le saisir.


Margaretta El Khoury
Troisième année Sociologie
Université Saint Joseph


                                     
Boualem Sansal
2084, La fin du monde,
Paris, Gallimard, 2015.
2084, Enfer accepté ?

C’est en Abistan, immense empire islamique, qu’Ati démarre sa recherche de la vérité. La foi en Abi assurera-t-elle vraiment le bonheur de tous ? Pourra-t-elle sauver le monde ? C’est ce qu’on a toujours appris au peuple, dans cette nation scrupuleusement régie par la divine loi de la charia. C’est dans un monde où les citoyens ne sont même pas censés distinguer le bien du mal, que notre personnage bouscule les codes et ose remettre en cause les principes dans lesquels il a toujours été élevé. Ati refuse de vendre son âme à l’appareil infernal, qui dicte les mœurs, endoctrine les consciences et anéantit toute liberté.  Encouragé par sa soif de vérité, il se lance dans une intense enquête spirituelle à la recherche d’un monde libéré de toute tyrannie et dépourvu de religion.

Inspiré par l’œuvre de George Orwell, Boualem Sansal propose une variante de 1984, et reproduit, cette fois-ci, un totalitarisme religieux. Motivé par son inquiétude de voir l’islamisme radical s’imposer dans le monde entier, notre auteur lance un signal d’alarme et appelle à prendre du recul sur l’évolution actuelle des évènements. On peut également discerner un message d’espoir dans ce roman pessimiste, incarné par Ati lui même. En effet, malgré toute la pression que ce système totalitariste lui impose, Ati est parvenu à s’évader de cette amnésie dans laquelle Abi le noie. Il est en réalité déchiré entre son envie de s’émanciper et le confort intellectuel et social qui lui est imposé : « Il suffisait de dire JE VEUX pour qu’un monde émerge du néant ».

Sansal dessine un lien entre l’extrémisme politique et l’extrémisme religieux, qui, bien que différents en apparence, peuvent se rejoindre dans le totalitarisme. En effet, on peut constater que des méthodes similaires sont utilisées dans 1984 et 2084 pour maintenir les habitants du pays dans l’idéologie de l’oppresseur. Cet ouvrage nous incite à nous remettre en question, et à revoir certains aspects de notre religion. Il est en effet facile de tomber dans un extrémisme insensé, qui ne tiendrait pas compte de la réalité de l’Homme.

D’un point de vue plus personnel, ce livre m’a fait réfléchir aux conséquences d’une pratique extrême, et donc aveugle de la religion. Une croyance ou une pratique religieuse peut ne pas être accompagnée d’une réelle réflexion, ce qui implique alors de suivre les textes religieux à la lettre, sans avoir de recul spirituel.
Il m’a alors permis de faire un lien avec la situation de notre pays.
Si on peut retirer un réel enseignement de cet ouvrage, c’est que les extrêmes se rejoignent toujours.


Gaia Moufarrej                                  
Université St Joseph
 

Boualem SANSAL
2084. La fin du monde
Gallimard, 2015, 274 pages


L'an 2084: entre la foi et la mécréance

Dans un monde envahi actuellement par le terrorisme religieux, nombreux sont qui mettent la religion en question : est-ce que les principes religieux sont responsables de tous les malheurs que l'Homme subit de nos jours ? Parmi ceux qui voient dans la religion le symbole de l’esclavage et de la soumission totale aux forces divines aussi bien que le symbole du terrorisme, il y a l’écrivain algérien Boualem Sansal. Né en 1949 en Algérie, Sansal a suivi une formation d'ingénieur à l'École polytechnique d'Alger. Il a aussi obtenu un doctorat d'économie, a été un haut fonctionnaire au Ministère de l'économie et de l'industrie algérien, mais fut limogé de son poste à cause de ses idées contre la religion.
Sansal avait un ami qui l'a convaincu de se lancer dans le domaine de l’écriture. Il a rédigé son premier roman en 1997. L'auteur a reçu plusieurs prix, comme le prix tronique (1999) pour son roman Le serment des barbares, le grand prix RTL-lire (2008) pour le roman Le village de l'allemand, le prix de roman arabe (2012) pour Rue Darwin ainsi que le grand prix de la francophonie (2013). En outre, le roman 2084. La fin du monde figure sur la liste de plusieurs prix tels que le Prix Goncourt.
  Ati, le personnage central du dernier roman de Sansal, est né en Abistan, un immense empire où les gens croient en Yolah et son délégué sur terre : Abi. Dans cet empire « religieux » où toute idée personnelle et toute pensée originale sont interdites, le système politique est fondé sur l'amnésie et la soumission complète au Dieu unique. Suite à des problèmes de santé, Ati quitte l’Abistan pour la première fois pour s’installer dans un sanatorium. C’est un lieu isolé, situé sur une montagne donnant sur les trajets du pèlerinage. Les pèlerins y passent pour se reposer. 
Ati s'est attaché à ces pèlerins, il commence à leur poser des questions : Comment ? Pourquoi ? Mais il n’obtient pas de réponses claires. On a entendu parler d'une guerre qui s'est déclenchée contre le grand Ennemi : la Mécréance.  Dans le sanatorium, des sentiments de souffrance, de maladie et d'isolement alternent, jetant le héros dans le doute. Aussi le voyons-nous se poser des questions vagues : Quelles guerres ? Quelles victoires ? Contre qui ? "Et Yolah le tout puissant et Abi son délégué que font-ils avec nous sur ce radeau à la dérive ? Qui nous sauvera ? De quel côté viendra le secours ?"  Le séjour d'Ati dans le sanatorium métamorphose soudainement sa vie.
L’œuvre de Sansal aborde le thème de la religion selon un point de vue négatif, c'est pourquoi nous sommes contre le roman. Nous énumérons ci-dessous les arguments qui prouvent notre point de vue. Premièrement, l'idée de mépris de la religion, voire le refus de toute chose sacrée, se lit entre les lignes. L’auteur dit que 2084, qui est l'année de l'illumination d'Abi par la lumière divine, marque la fin du monde. Ce qui souligne que l'auteur établit un lien entre l'illumination du délégué de Dieu sur terre et la destruction du monde. D’autre part, nous remarquons que l'écrivain adopte un style ironique en parlant des lieux sacrés. Il se moque de la "Kiiba" : terme utilisé à la place de la "Kaâba", lieu sacré selon la religion musulmane :"la Kiiba de la juste fraternité était la opie de la grande pyramide de la vingt-deuxième province, le livre d'Abi apprenait aux croyants que sa construction était un miracle accompli par Yolah".
   Deuxièmement, lors d’une interview, Sansal déclare : "Je ne suis pas islamophobe, je suis islamistophobe". De même, il dit : "On peut dire que l'islam est la religion des musulmans, et que l'islamisme est la maladie des musulmans". D'après ces deux phrases, nous remarquons que l'auteur contredit l'idée principale abordée dans son roman. Car s'il est uniquement contre les gens qui prétendent être les représentants de Dieu sur terre, et pas contre la religion en général, pourquoi alors son héros finit-il par devenir un impie ? La phrase de Sansal montre qu’il est incapable d'établir la différence entre l'islam comme religion et les systèmes politiques despotiques prenant la religion comme paravent pour assurer la soumission totale de leur peuple.
Troisièmement, le roman influence négativement la conception que les jeunes ont de la religion en soulignant que celle-ci marque la mort de la liberté. Il est clair que l'écrivain attaque non seulement l'islam mais aussi toutes les religions. Preuve en est l’idée de création de l’Abistan qui, selon Sansal, a été construite à l’image du système politique de l’Iran ainsi que celui du Vatican. L’image du Front Islamique du Salut (FIS) en Algérie n’était pas loin de la pensée de l’auteur.
Pour conclure, nous disons que l'attaque du terrorisme ne peut s’étendre à l’attaque de la religion qui vise essentiellement l’instauration d’un monde dominé par la tolérance et la sincérité. Il aurait été plus efficace que Boualem Sansal aborde des thèmes qui contribuent au développement des pays arabes surtout suite aux mouvements révolutionnaires vécus par ces pays. On s’attendrait plutôt à des sujets qui développent chez les jeunes des notions telles que le patriotisme et l’importance du travail.

                                                               
Nourhane Ahmed Abdel-Hafez
Faculté des lettres, département de langue et de littérature françaises
Université d'Alexandrie
Égypte
    
                              

Tobie Nathan
Ce pays qui te ressemble
Ed. Stock, 2015, 536 pages.

Ce pays qui te ressemblait

            Chétif et fragile, Zohar, né au ghetto juif de « ‘Haret el Yahoud » d’un père aveugle et d’une mère « demi-folle », est sur le point de mourir lorsque Jinane lui sauve la vie en l’allaitant avec sa fille Masreya. Né dans une atmosphère de sorcellerie et de magie, Zohar est lié à sa sœur de lait par une amulette préparée par le rabbin. « Maïmon », « Masry » et « Juif », tels étaient les noms proposés par les membres de la famille pour le nouveau-né avant d’opter enfin pour le nom « Zohar ».
Prononcé en arabe « Gohar », ce nom est aussi son nom de famille. Voulant dire en arabe « joyau », tel que précise l’auteur, ce nom signifie aussi « essence ». Cette signification pourrait être une connotation utilisée par Tobie Nathan pour souligner l’idée de l’appartenance des Juifs à l’Égypte. Censé être l’essence du pays, « Gohar » est au contraire un apatride à cause de sa religion, tandis que sa sœur Masreya est égyptienne et de nationalité et d’appellation. Celle-ci est à la fois la sœur de lait de Zohar, sa maîtresse, sa vie et son âme. Malgré les nombreuses tentatives de séparation, le jeune couple reste lié. 
Ayant commencé très jeune sa vie professionnelle comme simple ramasseur de mégots de cigarettes, Zohar réussit à créer sa propre compagnie, « la compagnie de l’Eau bleue » avec ses deux amis juifs Joe et Nino. Il se constitue une très grande fortune qui lui donnera la chance de croiser la haute société y compris le Roi Farouk.
Ce roman dépeint la société égyptienne des années 1920 jusqu’aux années 1950. L’auteur décrit méticuleusement les quartiers et les costumes des Égyptiens à cette période tout en gardant comme fil conducteur la vie politique en Égypte depuis le Roi Farouk jusqu’à Gamal Abdel Nasser et les Frères musulmans. Le genre romanesque de cet ouvrage a permis à l’auteur de mêler l’imaginaire au réel. Malgré l’intégration de personnages et d’événements historiques, ce livre ne peut être considéré comme une documentation objective sur cette période. En outre, la biographie de l’auteur montre que celui-ci a été fortement influencé par sa vie personnelle, ayant lui-même émigré d’Égypte avec sa famille juive à l’âge de neuf ans.
Malgré son ampleur, ce roman est facilement lu grâce à la simplicité du style. Cette fluidité rend la lecture rapide et sans ennui. Cependant le recours à la transcription de mots arabes pourrait causer une certaine gêne aux lecteurs non-arabophones, même si le recours à ces mots de la langue arabe ainsi que la désignation des noms de rues et de quartiers cairotes et alexandrins sont la preuve d’une profonde connaissance de la culture égyptienne.
La nostalgie des Juifs d’Égypte pour ce pays qu’ils considèrent comme leur est incarnée dans le roman par le personnage de Zohar. Le narrateur affirme que « l’Égypte est notre [les Juifs] substance, la matière qui nous constitue, le Nil est l’artère qui irrigue notre corps ». La question adressée aux Égyptiens que répète le narrateur à deux reprises – « comment pouvez-vous vivre sans nous ? » – est une sorte de reproche implicite. Mais à une telle question, il vaudrait mieux éviter toute réponse. En outre, le choix du titre, Ce pays qui te ressemble, confirme l’idée d’un attachement à l’Égypte et du sentiment de nostalgie qui en résulte. Pourtant, le pays décrit dans ce roman n’est plus le même. En effet, ce pays qui [te] ressemble n’existe plus…

Dina Magued Fawzi
Moustafa Abbas
Département de langue et de littérature françaises (DLLF)
Faculté des Lettres
Université d’Alexandrie







Thomas Reverdy
Il était une ville
Paris, Flammarion, 269 p.

‘’ Detroit du capitalisme se délabre pourtant certains résistent de l’abandonner ’’

Detroit, naguère ville-phare du capitalisme américain et capitale florissante de l’industrie automobile, subit de plein fouet la crise des Subprimes durant l’année 2008. Cette ville que l’on reconnaissait comme une cité où l’essor professionnel et industriel était sans limites, voit ses habitants la quitter, suite aux faillites des banques. Elle s’est pour ainsi en dire vidée de sa substance, des profiteurs qui, vu le capitalisme suffocant de cette ville, s’y étaient rendus. Dans le roman Il était une ville, deux histoires suivent leur cours parallèlement, histoires dont les héros sont Charlie, un enfant qui vit en compagnie de sa grand-mère dans un coin de la ville en ruine, Detroit, la ville emblématique de la post-Apocalypse et Eugène, un ingénieur français qui vient de débarquer à Detroit afin d’y superviser la mise en marche d’un nouveau projet de fabrication d’automobiles. Malgré les maisons abandonnées, les bureaux fermés et les installations en ruine, certains, dont Eugène qui se donne une bonne raison – l’amour de la serveuse Candice – de s’accrocher dans ce milieu désolé, tentent de résister, de ne pas partir. En même temps Charlie et son meilleur ami Bill suivent, à l’issue d’une dispute avec les parents, leur ami Strothers vers un no man’s land caché dans le centre de la ville, à la recherche d’une vie meilleure. Dans une indifférence quasi générale, la disparition des enfants devient un événement de plus en plus marquant. Les dossiers signalant les gosses disparus encombrent le bureau du lieutenant, qui est le seul à être loyal vis-à-vis de ses devoirs et qui pense qu’une ville dont l’agglomération s’évapore est une ville qui meurt. Suite aux crises, la ville a pris des allures de ville-fantôme. À vrai dire, Detroit met en évidence la pensée-phare des philosophes de l’école de Frankfort qui croient que le capitalisme creuse lui-même sa tombe. Ainsi la capacité de l’homme à s’autodétruire est prouvée.
La description rigoureuse et ultra-réaliste dévoile l’importance accordée à la ville qui, du coup, devient le personnage principal du roman de Reverdy. Narration et description nous font prendre conscience du rôle incontournable et primordial des objets, au détriment des êtres humains. Le résultat en est l’atmosphère noire du livre plongeant le lecteur dans la morosité, d’autant plus que les personnages ne sont pas rendus humains par la description. Celle des bâtiments aboutit à la mise en relief de la ville et des constructions. Le côté matériel des choses et des êtres prend le dessus. En effet, les sentiments et impressions qu’éprouvent les êtres humains ne sont pas dépeints autant que le sont les façades des bâtiments. À dire vrai, dans le livre de Reverdy, l’homme perd son importance primordiale au profit des constructions. Il était une ville nous fait réfléchir au pouvoir de l’argent et aux crises que ce dernier peut provoquer.

Mehdi Fazéli khosh
Faculté des langues et littératures étrangères
Département de Français
Étudiant en maîtrise des langue et littérature françaises
Université de Téhéran
Iran


Simon Liberati
Eva
Paris, Stock, 2015


“Eva d’Irina Ionesco est toujours pensée comme un sujet à aborder»


L’écrivain-journaliste revient, dans ce livre, sur l’histoire de son épouse, principale source d’inspiration du roman. Sensible aux peines que font subir leurs propres parents à leurs enfants, Simon Liberati raconte, comme il en est question dans Lolita de Nabokov, dans son roman intitulé Eva, les confessions et expériences d’une jeune fille de 11 à 13 ans photographiée par sa mère dans des postures provocantes. L’auteur-narrateur a rencontré pour la toute première fois Eva, ex-petite fille modèle,  lorsque celle-ci n’avait que 13 ans et lui 19 ans. Pourtant, aux dires du narrateur lui-même, elle était son aînée, étant donné les expériences et le passé de celle-ci.
Eva traite des angoisses étouffantes et de la soumission aux désirs d’une mère qu’elle n’aime pas, d’une jeune fille abusée et du même coup, des conséquences qu’elles ont pu engendrer. Ce livre, loin d’être une simple aventure, est un roman psychologique qui se donne pour vocation de déceler, suite aux souffrances qu’Eva a endurées, le tréfonds de sa personnalité. En abordant la vie personnelle d’Eva, S. Liberati fait de son personnage, comme Irina Ionesco (sa mère) en a déjà fait un sujet de la photographie érotique, un sujet soumis au verbe. Autrement dit, Eva reste toujours un sujet mais ce qui différencie le sujet de Liberati de celui de la mère-photographe, c’est que chez S. Liberati Eva est un sujet qui peut enfin s’exprimer, et qui est en droit de révéler ce qui se passe dans les coulisses de sa vie, tandis qu’Eva vue par la photographe n’a de toute son existence qu’un portrait ne représentant que l’actuelle Eva, qu’Eva photographiée. En un mot, Eva sujet du verbe vit diverses expériences : c’est un être humain qui, tantôt résiste, tantôt plie, mais Eva sujet photographié est un portrait figé, sans vécu aucun, une statuette dont la photographe régit les poses, les mouvements ainsi que les grimaces. Simon Liberati essaie ainsi de défendre, par le biais de son livre Eva, les droits des enfants contre les abus de la société. En fin de compte Eva parvient à se faire réfractaire aux vouloirs de sa mère mais résistera-t-elle à S. Liberati aussi? Voici une question qui reste énigmatique.


Mehdi Fazéli khosh
Faculté des langues et littératures étrangères
Département de Français
Université de Téhéran
Iran



Mathias ÉNARD
Boussole
Ed. Actes Sud, 2015, 378 p.

‘’Boussole un pont à unifier le monde parsemé de l’Occident et de l’Orient’’

Boussole est un roman érudit, quasiment un roman Wikipédia, dans lequel l’écrivain étale son érudition et sa connaissance de l’Orient au moyen de divers procédés dont le plus beau reste le suspens. Pourtant l’étalage d’érudition n’est point l’objectif de ce roman-fleuve. Il est le fruit d’une nuit d’insomnie d’un musicologue épris de l’Orient, un mélange de songes et de souvenirs, de méditations, de rencontres et de nombreux séjours du narrateur loin de l’Autriche – Téhéran, Istanbul, Alep, Damas, Palmyre… . Cette œuvre est en somme une pérégrination menée dans des territoires lointains, portée par l’admiration du grand Orient et par une quête de l’Autre, quête qui nous donnera l’occasion de prendre notre temps de réflexion pour nous apercevoir, à la fin, que nous nous sommes enrichis du contact avec l’Autre, et que nous devons énormément à autrui. Ce long voyage prend sa source à Vienne et nous amène à travers les errances de l’imagination de Franz jusqu’aux rivages de la mer de Chine. Ritter, le narrateur orientaliste, se rappelle son amour impossible avec l’insaisissable Sarah, spécialiste de l’Orient et de sa force d’attraction, l’Orient qui a séduit tant de voyageurs, artistes, savants occidentaux. Le doux mélange de l’amour contrarié et des aventures érudites fait avancer le récit. Par ailleurs, l’influence de l’Orient sur l’histoire culturelle européenne est, selon l’orientaliste talentueux, multiple et énorme, d’où ses efforts pour les mettre en valeur. Boussole est ainsi un pont jeté par lui entre l’Occident et l’Orient, un pont qui permet la recherche de l’impact de l’Orient, toujours intrigant et fascinant, sur l’Occident. «Il faut chérir l’autre en soi, le reconnaître », déclare à la fin du roman Franz Ritter.
Ce nouveau Balzac qu’est Mathias Enard maîtrise brillamment sa carrière. La description n’accepte aucune limite, d’où les phrases très longues mais passionnantes : c’est l’effet produit par la description à la balzacienne, minutieuse et attentionnée. L’auteur mêle habilement les personnages fictifs, vraisemblables, et les personnalités réelles ayant bel et bien existé. S’y ajoute une narration ardente, intrigante et singulière dont l’effet de suspense est prodigieux. Le narrateur-personnage enchanté par l’Orient s’attarde à tout décrire car l’obsession de tout visualiser le ronge durant la narration, l’obligeant à se plier aux joies de fines descriptions. Cela pourrait nous apprendre combien l’auteur de Boussole est fasciné par cet Orient dont il sublime tant le portrait. Ritter observe tout en détail, s’identifie aux indigènes tout en prenant une certaine distance avec eux afin d’être juste. Il commente, critique, admire, apporte des idées nouvelles et proclame que « l’Orient est dans l’Occident ». Aux dires de Beethoven qui possédait une boussole indiquant obstinément l’Est, « le génie veut la bâtardise ».


Mehdi  Fazeli khosh
Facultés des Langues et Littératures étrangères
Département du français
Etudiant en maîtrise des langue et littérature françaises
Université de Téhéran
Iran



Thomas Reverdy

Il était une ville

Paris, Flammarion, 269 p.

 

La Catastrophe Américaine.

                                   

          Début septembre 2008, Eugène est heureux: il arrive à Détroit pour travailler pour l'Entreprise. Il va vite déchanter. Son bureau en open space, situé dans une tour désaffectée,  est loin du siège social. Puis vient la nuit d'Halloween, celle du Diable. Les gamins jouent dans la rue et s'amusent à incendier des maisons. Après quelques semaines, le lieutenant de police se demande où sont passées les familles, les gens qui habitaient dans ces maisons désertées. Par la suite surgit le personnage de Charlie, avec ses amis. L'ombre de Stephen King plane au-dessus du récit, celle de Stand by me ou de La Tour Sombre, qui évoque l'enfance aventureuse en train de basculer vers l'adolescence, son chagrin, ses effrois et ses espoirs. Le lieutenant de police s’applique à compulser les dossiers d'adolescents disparus.

          Dès les premières pages, le mot "Catastrophe" jette le mystère sur ce qui se passe à Détroit. Le doute est présent : il est accentué par de petits sauts dans le temps, car le lecteur ne sait pas clairement quel est le but de l'histoire et où on le mène.

          La catastrophe est donc cette crise du système bancaire, des subprimes et de leurs conséquences, qui sont essentiellement la désaffection et la ruine d’un système économique et social.

          Thomas B. Reverdy raconte la désintégration de la ville de Détroit. Dans ce climat de crise, Eugène va croiser Candice au Drive in. En même temps, le Gros Bill a envie de s'enfuir et de quitter le quartier, la grand-mère de Charlie lui racontera le départ de sa mère. Ainsi, des bribes d'histoires sont commencées, mais aucune n'est développée, on ne sait pas ce qui se passe après. Les événements demeurent inachevés. Une pseudo enquête policière est lancée dans le récit, mais les pistes n’aboutissent à rien. Nul suspens. Tout le monde déchante, même le lecteur. On ne peut pas s'attacher aux personnages du récit parce qu'ils n'existent que de façon vague, aussi vaguement que la ville de Détroit. Seul le flou du miroir (personnage et ville) est réussi dans ce roman. Tout le reste tombe sous le règne de la réalité la plus prosaïque et la plus plate. Le diktat du réel s’impose et rend tout le reste inutile :

"Eugène écrira dans son dernier rapport: je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça. On a l'impression par ici que ce qui se passe est une vision dérangeante, une des images de l'avenir. Et cependant, la vie continue.

 

 Kawkab Adra

 Université Saint-Joseph – Tripoli

2ème année Lettres françaises

 

Mathias Énard                     

Boussole
Actes Sud, 377 pages

 

                                                  Où est le nord ?

 

Si vous êtes perdus, si vous ne savez pas où vous diriger, si vous voulez prendre un train et que vous ne savez pas lequel  choisir … lisez  ce livre !!

Pour parler de Mathias Enard, l’auteur de Boussole, on peut dire brièvement que c’est un écrivain qui a effectué des études arabes et de longs séjours au Moyen- Orient.

Et de fait,  Boussole, son dernier roman, raconte l’histoire de Franz Ritter, un musicologue qui s’engage dans une longue rêverie d’insomniaque. Il va nous faire découvrir l’Orient d’hier et d’aujourd’hui à travers les voyages  dont il se souvient longuement. Il  tombe malade, se croit mourant et tombe amoureux de Sarah, une femme libre. Tout au long du livre, Ritter ne veut pas dire à Sarah qu’il est malade, il feint la force et cache sa souffrance. Jusque-là, l’histoire peut vous paraître banale, rien de spécial dans la trame du récit. Mais en entrant dans les détails, on s’aperçoit que ce livre est porteur de message. En effet, à la première lecture, vous allez vous même penser que c’est un livre de voyage qui contient beaucoup d’informations à propos de la musique. Mais attention ! Ne tombez pas dans le piège d’Enard ! L’histoire est beaucoup plus profonde. Ce livre est digne des Mille et une nuits condensées en une seule nuit d’insomnie. C’est une encyclopédie intime et démonstrative du rapport entre les deux mondes, l’Orient et l’Occident. On croise le musée de Vienne, Istanbul, l’actualité en Syrie. On parle de Mahler, Mozart et Balzac … Mathias Enard nous apprend tout, on sent qu’on ne se souvient plus de rien. Ajoutons à cela que Boussole nous fait entendre des voix chargées d’ « opium intellectuel ». Nous tous sommes habitués aux discours convenus et lénifiants sur les rapports entre l’Europe et le reste du monde. Ces discours  nous enivrent, nous anesthésient et nous rendent aveugles  des deals que les puissants de notre planète se passent par-dessous des tables. Le roman d’Enard dit le contraire de ce que veulent nous faire croire les accords passés entre les grands pays sur le dos des plus petits. Après Boussole, finis les complexes de supériorité ou d’infériorité dans les rapports Orient/Occident. Ce livre est un signal d’alarme qui essaie de nous réveiller de nos rêves opiacés.

Selon Henri Miller, “s’orienter c’est tout perdre “ et dans Boussole, M. Enard ne veut rien perdre. Surtout pas son lectorat français. Mais en même temps, il nous dit, à nous, lecteurs du monde arabe, quelque chose de précieux. Pour l’entendre il faut d’abord accepter de se perdre dans la science de Franz Ritter, accepter d’être « déboussolé » avec lui entre déni et angoisse de la mort. Le message est ambigu mais intéressant. À la fin, on découvre le secret de Boussole : chacun peut diriger sa boussole comme il veut. C’est à nous de chercher la bonne direction. Le roman ne fait que la suggérer.

Baudelaire termine son livre ainsi : ”c’est ainsi que finit mon rêve d’opium qui ne laisse d’autres traces qu’une vague mélancolie, suite ordinaire de ces sortes d’hallucinations.” Et c’est aussi de cette manière que notre romancier termine son livre, à la place de l’opium de “simples chansons d’amour”. Et il veut dire par cela : “vous les Occidentaux, vos rêves ne sont que des hallucinations “. C’est un livre qui touche tous les publics et traite le sujet de l’affrontement entre l’Orient et l’Occident mais d’une façon originale. Il n’en demeure pas moins que ce qui est regrettable dans ce roman, c’est le style savant. Un roman ne doit pas s’adresser uniquement aux spécialistes mais à tout le monde. L’excès de descriptions et l’ambiguïté du personnage féminin de Sarah sont à vrai dire lassants.

Il faut lire ce livre chargé d’estime pour un Orient malmené, à condition d’aimer l’errance de ceux qui ont perdu leur boussole…



Nadine Bakkar

Université Saint Joseph-Tripoli

1ère année Lettres françaises

 

 

Les Prépondérants,

Hédi Kaddour,

Gallimard, 2015.

 

UNE PRÉPONDÉRANCE MENACÉE?

“Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-là.”: voilà une citation célèbre qui a vu le jour durant l’émergence du colonialisme qui a placé le Maroc sous protectorat français en 1912. C’est dans ce contexte que l’auteur, ex-professeur de littérature à l’École normale supérieure et journaliste, situe son roman dans lequel il relate l’arrivée d’une équipe de cinéma américaine à Nahbès, ville imaginaire, en vue d’y tourner un film. Cette intrusion américaine bruyante avive les tensions entre les jeunes nationalistes aspirant à la liberté et l’indépendance,

les colons français “prépondérants” et les notables traditionnels.

 

Avec sa plume agile, l’auteur dessine minutieusement ses personnages :

Il y a le jeune Raouf, fils du caïd, passionné par la littérature aussi bien arabe que française, mais qui hésite entre nationalisme et révolution : ”Quel avenir pour celui qui appartient à un pays vaincu ?” Les circonstances le conduiront à Paris, ainsi que dans l’Allemagne nazie vaincue où il découvre avec étonnement que cette dernière s’est retirée de l’Alsace sans réclamer aucune indemnité. Amoureux de l’actrice américaine Kathryn, il noue une amitié conflictuelle avec Ganthier, l’ex-officier de l’armée française, qui, aux yeux de son père, est “le seul français que la domination n’ait pas rendu idiot”. Mentionnons en fin de compte la jeune veuve Rania, autonome  et suffisamment éduquée pour refuser de se plier aveuglément aux contraintes qui lui sont imposées. Celle-ci forgera une relation étroite avec Gabrielle, une jeune journaliste parisienne, qui mène une vie libre puisqu’elle est protégée par son réseau d’influences.

 

Roman historique certes, mais qui n’est pas exempt de tout intérêt :”Nous trouvons les lignes de

ce que nous sommes devenus”. Il est indubitablement d’une certaine actualité. En effet,

 la prépondérance et l’envie de domination ne restent-elles  pas les préoccupations primordiales des grandes puissances mondiales? Ne pourrions-nous pas parler d’un colonialisme moderne au sein même des états réputés “indépendants”? L’Afrique du Nord s’est-elle effectivement affranchie de l’oppression morale et économique ?

Dans ce roman, Hédi Kaddour nous rappelle, avec un style impressionnant mêlant à la fois ironie et mélancolie, tous les aspects de la vie sous le joug colonial que ce soit

au niveau social ou politique.

           

 Cependant, l’on peut lui reprocher de s’être longuement attardé sur certains points qui ne méritaient pas, à nos yeux, tant de développements. N’aurait il pas été préférable de décrire plus brièvement, à titre d’exemple, l’huile de Si Ahmed ou la chasse de Ganthier, afin d’éviter des longueurs? Personnellement j’aurais été dans ce cas plus intéressée par le livre.

Somme toute, la lecture de ce roman est recommandée à toute personne désireuse de se faire une idée plus claire de l’Afrique du nord dans la période de l’entre-deux guerres étant donné qu’il est considérablement documenté sur ce plan – n’en déplaise aux spécialistes de l’Histoire!

 

Rita Bou Fadel
Université Saint Joseph
Faculté de Droit - Master

 

 


                        

 

 

 

       


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